vera | the club isn't the best place to find a girlfriend to shit talk my husband (so the bar is where i go)

Peut-être que sortir seule prendre un verre n'était pas l'idée du siècle, vu ses récents exploits, mais Emma ne supportait plus de tourner en rond dans cet appartement vide. À la réflexion, elle n'aurait probablement pas mieux supporté la soirée si Jace était là. Il fallait qu'elle sorte et vite. Après avoir enfilé la première robe qui lui était tombée sous la main, elle avait donc attrapé son sac à mains et son perfecto, vieux réflexe un peu idiot avec les températures de ces derniers jours, et elle avait claqué la porte de l'appartement, non sans un sourire moqueur à l'idée de faire un peu plus enrager les voisins. C'était peut-être un peu risqué mais après tout, personne n'avait encore appelé les flics. Tambouriné à la porte et aux murs pour les faire taire, Jace et elle, et ce plus d'une fois mais ce n'était pas allé plus loin. Jouer la carte de la provocation n'était certainement pas la chose à faire mais Emma avait les nerfs à vif et n'avait jamais appris à se défouler correctement.

Le Monro lui était apparu comme la destination toute indiquée pour noyer momentanément ses problèmes. Ce n'était pas le pub le plus chic du coin et même si subtiliser une carte bancaire ou deux l'aurait probablement amusée, Emma se sentait plus d'humeur à siroter un cocktail. Restait à espérer qu'aucun abruti ne viendrait lui pourrir sa soirée. Tristement, ça restait une possibilité mais bien décidée à se détendre, elle gagna le bar et s'approcha d'une brune, encadrée par deux tabourets libres. « This seat's taken?, s'enquit-elle en désignant celui de droite avec un sourire. Don't worry, this is just me trying to make sure weirdos won't ruin my night, I'm not gonna hit on you or anything. Just need a drink and a quiet night, away from men » Elle grimaça, malgré elle. Quelle charmante manière de se présenter, vraiment, bravo Emma. No wonder she basically had no friend.

C'est une énième conversation téléphonique avec sa mère qui l'a menée là. Une énième proposition de rencontre pendant un déjeuner dominical dans la jolie banlieue de Staten Island où les Gardner sont installés. Le fils d'un voisin, un charmant ingénieur de son âge, célibataire, tout juste rentré d'une mission en Afrique du Sud - et en plus, c'était empressée d'ajouter Mrs Gardner, il fréquente notre Eglise ! Vera avait lutté pour refuser la proposition, mais prétexter un plan avec Tristan avait définitivement été la pire idée qu'elle aurait pu trouver. Résultat des courses, la conversation avait muté en drame - et sa mère, voix tremblante, dont elle pouvait presque voir les larmes border les yeux malgré la distance les séparant, avait fini par obtenir raison. Elle fera l'effort du déplacement - et viendrait peut-être même pour la messe. Cette concession lui coûterait cher de moqueries diverses et variées, elle en avait bien conscience, mais sa mère était douée pour la faire culpabiliser, toute indépendante, forte et féministe qu'elle se considérait.

Elle avait échoué là, donc, seule au bar. Pas tout à fait désespérée, pas tout à fait sereine non plus. Elle s'était installée sur un tabouret, près du bar. Et à présent, elle contemple un verre de gin tonic posé devant elle. Ce n'est pas tant que la situation la dérange. Ce qui la dérange, c'est que toutes les personnes faisant partie de son entourage proche la bassinent sans arrêt avec son meilleur ami et colocataire. Mais for christ's sake, est-ce que vraiment il était si étrange ou problématique de vivre avec son meilleur ami ? Elle préfère très certainement ça à la solitude d'un grand appartement. Peu importe que les gens ne le comprennent pas - ou lui rient au nez, parfois. Elle avale une gorgée de son verre quand une voix vient la perturber dans ses rêveries - elle est presque en train de s'imaginer mariée en bonne chrétienne au bon vieux Charles qu'elle va rencontrer dimanche comme si elle était née en 1920. « Oh, no, no problem, you can definitely sit here », elle confirme dans un sourire, en retirant son sac qu'elle avait déposé là tant qu'il n'y avait personne. « In fact, I could use a quiet night away from men, too », elle confesse sans se départir de son sourire. Elle fait un signe de la main au barman qu'elle connait, comme une bonne habituée des lieux qu'elle est. « By the power vested in me, I now pronounce the night without weirdos officially open!» Elle lève son verre, et laisse la nouvelle venue commander, sans trop savoir if she feels like talking or not.

Il y avait de grandes chances qu'elle se fasse envoyer sur les roses. Après tout, peu de gens appréciaient de se faire emmerder sous ce genre de prétextes, qu'ils soient vrais ou non. En l'occurence, Emma était sincère, fait suffisamment rare pour être remarqué. Fort heureusement, l'inconnue lui adressa un sourire et, soulagée, Emma s'installa, éclatant de rire devant le commentaire. « Lovely, then let's have a quiet, men-less night » souffla-t-elle avant de faire signe au barman. Une image un rien familière lui revint en tête et son sourire faiblit. Non, pas ce soir. Ce n'était pas l'objectif, loin de là. Seulement le destin avait un sale sens de l'humour et le commentaire enthousiaste de la brune assise à sa gauche la ramena un peu plus à cette ridicule réalité dans laquelle elle vivait depuis quelques semaines. Sans réfléchir, Emma lui adressa un regard courroucé avant de reporter son attention sur le barman qui attendait, bien trop patient pour son propre bien. « A whisky, on the rocks. Please » ajouta-t-elle au dernier moment. So much for cocktails night. Un soupir lui échappa et elle baissa les yeux un instant, irritée. Ce n'était décidément pas pour ça qu'elle était là et, de toute manière, ce n'était pas la faute de cette fille. « Sorry, didn't mean to be rude, finit-elle par s'excuser, tâchant de sourire, aussi sincèrement que la première fois. It's just... nevermind, it's been a long day. Week. A long month, really » And a shitty one at that. « Pretty sure I could punch the first perv who's gonna try and hit on you or me. Or both, probably » Elle laissa échapper un ricanement sans joie. C'était profondément stupide à ce stade, de se laisser miner le moral à ce point.

Elle a probablement dit quelque chose qui n'allait pas, Vera, car après le sourire soulagé qu'affiche la brune en face d'elle, voilà qu'un regard nettement plus agressif pointe le bout de son nez. Elle ne lui en tient pas rigueur, peut-être qu'elle a envie d'avoir la paix et pas de se taper la conversation avec une inconnue, bien qu'il ne s'agisse pas d'un homme. C'est là un des défauts principaux de Vera - elle parle. Beaucoup. Elle passe sa vie à parler, aux gens qu'elle connait, à ceux qu'elle ne connait pas, provoquant parfois la discussion dans des contextes étranges. Le conducteur du bus fait un détour inapproprié ? Elle en parle à son voisin. La chanson lancée par le DJ est nulle ? Elle commente auprès d'un inconnu de la soirée. Vera, moulin à paroles qui ne cesse de parler qu'en de très rares occasions - parfois, c'est la gêne qui la fait taire, quand elle se rappelle que tout le monde n'apprécie pas d'être inondé de paroles d'une inconnue, toute souriante soit-elle. Fort heureusement pour son égo - qui est déjà en train de tourner à mille à l'heure dans sa tête pour trouver pourquoi elle éprouve tellement le besoin de discuter en permanence - la brune, nouvellement installée à côté d'elle, reprend la parole, et la conversation s'engage à nouveau. « It's alright, I understand. I probably talk too much, I swear to God I can be as annoying as a perv sometimes... Well, if you let the perv side of a perv out of the debate, that's to say », elle réplique, un sourire sceptique affiché sur les lèvres comme elle comprend que ce qu'elle dit n'a strictement. aucun. sens. « I'm no perv, I swear. I might be a bit weird, though », elle précise dans un haussement d'épaule défaitiste. « But well, we'll keep the weirdoes - and the pervs, and any representative of male sex as far away from us I possible », elle finit par conclure, pour arrêter de débiter des conneries. « My name's Vera, if you don't want to run as far away as possible from here yet », elle lance en tendant sa main, sans se départir de son sourire.

Au lieu du regard gêné ou d'un silence qui pouvait en dire long, Emma se retrouva confrontée à un flot de paroles au débit pour le moins impressionnant. Surprise, un rien déstabilisée, elle écarquilla les yeux, tentant maladroitement d'enregistrer toutes les informations. Elle finit par éclater de rire, étrangement soulagée. À croire que tomber sur cette fille dans ce bar était exactement ce dont elle avait besoin ce soir. Elle serra la main tendue avec un sourire amusé, secouant légèrement la tête. « Emma. Nice to meet you, Vera » Nice indeed. « Don't worry, everybody's a bit weird. And I'm good here, thanks, not really looking forward to going home » Pouvait-elle vraiment appeler ce stupide appartement comme ça ? Pas vraiment. Jace était plutôt doué pour lui faire comprendre qu'il était chez lui et seulement chez lui. Et, à la réflexion, elle ne pouvait pas vraiment le blâmer. Il n'avait pas tort et elle n'avait elle-même aucune envie de vivre là. Détails, détails. Emma soupira avant d'accepter le verre que le barman finit par lui apporter avec un bref sourire. « It's just, that sentence you used, I. Ok, so, I got married recently, it wasn't exactly planned, and it just, yeah, reminds me of exactly why I'm here, the wedding, the husband. Men, really » Elle se tut, concentrée sur son whisky et sur la première gorgée, brûlante, brutale. Régler ses problèmes dans l'alcool n'était pas franchement une solution, cela se saurait. Emma et les mauvaises décisions, une longue et grande histoire d'amour. « What's your story then? Cheating partner? » Un coup classique. Le premier qui lui était venu à l'esprit en fait, ce qui en disait certainement long sur le peu de confiance qu'elle accordait à autrui.

Bon. Vera constate donc que son interlocutrice est résistante - et il faut une sacrée couche de résistance pour encaisser le flot de paroles de la brune, elle en a bien conscience. Dire qu'elle parle beaucoup est un euphémisme. Tristan le lui a souvent dit, cet idiot - elle parle juste trop. Surtout en présence de gens qu'elle ne connait pas et qu'elle prend donc délibérément le risque de faire fuir. Ou de choquer. Ou d'importuner. En même temps, Vera n'est pas de ces personnes qui ressentent l’irrépressible besoin de plaire à tout le monde ou d'être aimée de tous. Alors ceux qui supportent son débit de parole sont les bienvenus dans sa vie, les autres... Peu importe ? Quelque chose du genre. Quant à son idiot de meilleur ami, disons simplement que lui n'a juste pas le choix. Il doit la supporter, point final. Et s'il n'est pas content, well, il n'a qu'à souffrir en silence. Voilà. Elle ne sait pas pourquoi elle est agacée quand elle y pense - sans doute parce qu'une créature blonde aux longues jambes s'est encore échappée de sa chambre ce matin. « Nice to meet you too », elle répond dans un sourire, leurs mains jointes. « Ok, good. Stop scaring strangers when meeting for the first time, checked », elle réplique en lui offrant un clin d'oeil, avant de reporter son attention sur le barman pour qu'il remplisse leurs verres. Et puis, étrangement, l'inconnue s'explique, et Vera se mord la lèvre. Damn, elle a vraiment mis les pieds dans le plat. « Oh God, sorry... Didn't see that one coming, to be honest », elle confesse en prenant une inspiration. « So was it like... Vegas style? », elle demande en fronçant un peu le nez. « If you want to talk about it, of course. I never learn from my mistakes, as you might notice » Elle avale une gorgée de son verre et hausse une épaule. Son histoire ? Hm. Beaucoup moins embêtante qu'un mariage non planifié. Beaucoup moins claire, aussi. « Well, not really. My story is something more like, my parents want me to get married, and I never find anyone who stays with me for more than a few months because I live with my silly boyfriend who walks around naked in our flat - oh and everybody things we're secretly dating but we're not », elle explique, grosso modo. Well, les choses prennent légèrement sens, formulées ainsi. « And we're not. I mean we tried, and it was quite a fail, so... Anyway. Less annoying than an unplanned wedding, though ».

« Takes a little more to scare me away darling, don't worry » ricana-t-elle, une fois la gêne dissipée. Elle n'était clairement pas encore tout à fait habituée à cette situation ─ the married life, that is ─ et n'envisageait pas spécialement de l'être un jour. Parce que c'était temporaire, parce que c'était une erreur qui finirait bien par se réparer d'une manière ou d'une autre. Parce qu'elle n'allait pas laisser ce léger souci prendre trop de place dans sa vie. Yet, here she was, complaining about it to a complete stranger in a bar. How very cliché.  « Exactly Vegas style actually. Stayed there literally for a weekend and I managed to get hitched to the first hot person that crossed my path. I think there might be a movie with that kind of plot. But it's probably lame and ends with everyone happy and in love and- yeah, definitely not what's going on here » Pathétique, vraiment. Par bonheur, son verre finit par arriver, parfaite petite distraction au tourbillon de pensées toujours plus contradictoires qui se bousculaient dans sa tête. Vera se montra plus distrayante encore et, l'espace d'une seconde ou deux, Emma tenta d'imaginer cette drôle de situation, inconnue pour elle qui avait toujours tenu ses différents colocataires à distance, comme le reste du monde d'ailleurs. Bien trop heureuse de se voir offrir une chance de reléguer son mariage hasardeux dans un coin de sa tête, elle se tourna tout à fait en direction de la jeune femme, sourcils froncés et mine songeuse. « So, let me get this straight, you live with a man you did date at some point in your life, like you actually share a living space with a guy you had some kind of romantic relationship with... does it work? I mean, isn't it, dunno, awkward sometimes? » Emma avait déjà bien du mal à comprendre pourquoi bon nombre de gens s'embarrassaient de la moindre relation amoureuse, alors vivre avec l'un de ses anciens partenaires ? Ça semblait être une très, très, très mauvaise idée. Mais qui était-elle pour jugée après tout ?