ricardo | and why mess up a good thing, baby ?

❝ all my friends stay up past midnight, looking for the thing to fill the void. i don't go out much like i used to, something 'bout the strangers and the noise. and why leave when i got you, baby? it's a risk but babe, i need the thrill. i never said you'd be easy but if it was all up to me, i'd be no trouble, hey, we’re in trouble ❞

La dernière personne qu'Anjelica pensait trouver, en poussant la porte de la salle des professeurs, c'était bien Ricardo. Ce qui, à la réflexion, était vraiment une grosse, grosse connerie ─ presque aussi grosse que celle qu'ils avaient faite ensemble, tiens. Ricardo avait tout à fait le droit d'être là après tout, comme elle d'ailleurs. Ricardo travaillait ici, après tout, comme elle d'ailleurs. Ça n'avait rien d'étrange qu'ils se trouvent là, tous les deux. Absolument pas, non. Et, vraiment, elle aurait dû s'y attendre. Ce n'était pas rare qu'ils se croisent une heure ou deux, à préparer leurs cours en bavardant autour d'un café, avec ou sans Alejandro. Son frère n'était pas là aujourd'hui et Anjelica ne savait pas si elle devait s'en réjouir ou le déplorer. Elle ne l'avait pas revu depuis leur dernière petite soirée, pas plus qu'elle n'avait croisé Ricardo d'ailleurs. Bien sûr qu'elle savait qu'elle finirait par le revoir, il lui était difficile de l'éviter indéfiniment. C'était là tout le problème, quand on décidait de s'envoyer en l'air avec le meilleur ami de son frère. « H-hey » lâcha-t-elle, maladroite, sans trop oser le regard, les joues teintées d'un rose soutenu. S'asseoir en silence aurait sans doute été bizarre mais elle n'était pas certaine non plus que lui adresser la parole fût une bonne idée. Merde, franchement. Merde. Évidemment que les choses allaient être étranges entre eux, elle aurait dû le savoir dès le départ mais elle n'avait pas réfléchi, n'avait pas pensé aux conséquences. Pour la première fois depuis des années, Anjelica n'avait pas calculé soigneusement ses mouvements et elle s'en mordait les doigts. « Alejandro n'est pas là ? » s'enquit-elle en prenant place, son portable sous les yeux. Voilà, son frère, le sujet sûr. Pas de zone d'ombre, pas d'équivoque, juste Alejandro, leur éternel point commun. Ce n'était plus le seul, ceci dit, mais ce n'était pas vraiment le moment de le faire remarquer. Ni l'endroit d'ailleurs.

Les lundis arrivent en général un peu trop vite. C’est une science exacte et non discutable qui s’applique à tout individu de type corps professoral durant l’entièreté de l’année scolaire. Mais ce lundi-ci est probablement le pire de tous pour Ricardo qui n’aura pas vraiment dormi cette nuit, ni la précédente pour être très honnête. S’il sait qu’il va devoir confronter Anjelica et son frère un jour ou l’autre, il a très longtemps pensé à prendre un jour de congé en se prétextant une gastro-entérite foudroyante, le tout avant de réfléchir qu’il lui faudrait une excuse valable à donner à son mari autre que « je n’ai pas la moindre envie de confronter la femme avec qui je t’ai trompé, et ne parlons même pas de son grand frère »… et de se raviser, préférant se noyer dans son café et tenter de se concentrer sur quelques corrections.

Il sursaute lorsqu’Anjelica passe la porte et l’interpelle. Sans lever les yeux de sa copie – la même depuis une éternité -, il réplique, bref, maladroit :

- H-hey ! Non, pas là. Pas encore vu.

Et c’est tant mieux, car Rico n’a pas la moindre envie de confronter son meilleur ami, encore moins en présence d’Anjelica. Mais je me répète. Ricardo se racle bruyamment la gorge, tentant de chercher un sujet de conversation intéressant, chose qui, en général, ne pose aucun problème à la petite bande.

- Je pensais qu’il serait avec toi ?

Oui, bien sûr. Toujours rivé sur ses corrections – dont il lit la même ligne depuis environ dix minutes, soyons d’accord -, il peste contre lui-même. Il savait que cette décision, aussi sympathique et intéressante semblait-elle sur le moment, allait causer plus de problèmes que de bonnes choses. Il se lève précipitamment, cherchant à tout prix à meubler la pièce d’autre chose que d’un silence pesant. Se prend les pieds dans sa chaise, allez savoir comment. Manque de se casser la pipe, tête la première. Se racle à nouveau la gorge, passe une main dans sa nuque.

- Café ? demande-t-il finalement.

L'évidente gêne qui s'était abattue sur la pièce lorsqu'elle avait aperçu Ricardo était presque palpable et, de toute évidence, il ne se sentait guère plus à l'aise qu'Anjelica. Elle se mordit la joue en s'installant avec prudence, un tas de copies toutes prêtes à la distraire sortant aisément de son sac. « C'est pas le cas, comme tu peux le voir » lâcha-t-elle, un peu plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu. Le si toutefois tu osais me regarder resta coincée dans sa gorge. Elle n'avait jamais aimé la confrontation, quelle qu'en fut la nature, préférait laisser passer en se contentant de sourire ─ ou de seulement se taire lorsqu'elle n'avait pas la force de feindre la joie ─ et était particulièrement douée pour oublier ce qui était susceptible de la déranger. Difficile, toutefois, d'effacer de sa mémoire ce qui s'était passé avec Ricardo quand ce dernier était assis juste à côté d'elle. Et, quelque part, elle comprenait cette soudaine froideur embarrassée. Il était marié, il était marié et ce moment ─ oh, l'euphémisme poli ─ ensemble avait été un instant d'égarement. Sympathique, certes, mais ça ne changeait rien à la situation. Ricardo était marié et, comme la plupart des gens, il n'appréciait sans doute pas spécialement d'être mis face à ses erreurs. Et l'erreur, en l'occurence, c'était elle. Pas franchement la sensation la plus agréable qui soit, loin là. Déstabilisée, la bouche tordue par un pli amer, généralement annonciateur de larmes, Anjelica baissa la tête sur la première copie, sans toutefois parvenir à lire ne serait-ce que le nom de son auteur·e. Merveilleux, cette semaine commençait décidément très mal. Dans la périphérie de son champ de vision, elle aperçut Ricardo, toujours aussi gracieux, tenter de bondir de sa chaise et, évidemment, frôler l'accident de travail. Comment ce garçon avait pu réussir à rester à peu près intact jusqu'à présent était un vrai mystère. Son semblant de chute eut toutefois le don de faire retrouver le sourire à Anjelica qui pouffa de rire sans pouvoir se retenir. « Oui mais je vais m'en occuper, laisse, répondit-elle en se levant à son tour, sans un seul regard pour les copies ─ elles pouvaient bien attendre quelques jours, ses élèves n'allaient certainement pas les réclamer, pas après le peu de travail qu'ils avaient fourni. Tu serais bien capable de te faire du mal ou pire, d'en faire à cette pauvre cafetière, et je ne veux pas d'ennui avec l'administration. Assieds-toi » Un peu autoritaire peut-être. Elle s'éclaircit la gorge avec un sourire forcé. « S'il te plaît. Ça vaut mieux je crois » ajouta-t-elle sans oser croiser son regard. Le courage n'avait, après tout, jamais compté parmi ses qualités et, a priori, ce n'était pas aujourd'hui que ça changerait.