who else is lactose intolerant ? | vera

Dîner chez les Gardner quelle horreur. Tristan a beau se taper ce genre d’événements de façon assez régulière, il ne s’y fait toujours pas. En tant que meilleur ami de Vera, il ne devrait pas forcément y passer ses dimanches après-midi, mais pour une raison aussi obvious qu’elle ne lui échappe, il se laisse souvent entraîner dans ce genre de conneries. Avec les années, Tristan a eu tout le loisir d’observer une bonne quantité de drama à la table de Gardners, assez de drama pour passer pratiquement inaperçu à un point, ce qui était appréciable, en tout cas pour lui. Récemment en revanche, il trouve que les Gardners s’intéressent de nouveau beaucoup trop à sa présence. C’est pourtant eux qui l’ont invité non ? Il les soupçonne d’avoir des idées derrière la tête, de très mauvaises intentions. Ce sont des Gardners après tout.

- On est vraiment obligés d’y aller ? Je veux dire toi très certainement mais moi… Moi je pourrais rester devant Netflix avec un paquet de chips ?

Une très bonne option qui a le défaut de pas en être une. Tristan c’est le bouffon du roi qu’il faut absolument avoir à sa table pour calmer toute tension existante en lui balançant une pique bien méritée. Toute vanne sur la sexualité de Nate ou les origines d’Alejandro ne passant que très moyennement récemment, les Gardners ont l’air d’avoir besoin de Tristan pour pouvoir balancer quelques remarques désobligeantes, qui visiblement contribuent à la bonne entente familiale. Dans le fond, Tristan s’est toujours demandé comment des gens aussi… intolérants pouvaient avoir des enfants aussi charmants. Un grand mystère.

Lorsqu’ils arrivent devant la maison, Tristan ajuste le col de sa chemise bien repassée. Ce qui ne changera pas grand-chose. Il n’a ni l’élégance de Nate, ni l’art de changer de conversation comme Vera. Lui il faut toujours qu’il fasse une blague de mauvais goût. Un boulet vous avez dit ? C’est un peu ça le problème de Tristan Duncan.

- J’espère qu’on est pas les seuls à venir déjeuner...

Parfois, Vera aimerait que sécher les réunions familiales soit aussi simple que sécher un cours au lycée. Elle le faisait régulièrement, s'arrangeant toujours pour faire en sorte que sa mère ne soit pas au courant - imiter sa signature, changer le numéro de téléphone portable dans la case des gens à prévenir, intercepter le courrier, tout ça. Vera a toujours été très douée pour se dérober à l'autorité parentale, c'est un fait indéniable. Seulement, les réunions de famille sont plus compliquées que les journées de lycée - pour une raison simple. Addison Gardner est un tyran pire que le Directeur de l'école. Un tyran qui règne sur sa propre famille en maître, que les gens n'aiment pas trop contredire, même si elle, elle s'y atèle de temps en temps, notamment pour rappeler sa mère à l'ordre lorsque celle-ci dépasse les bornes de l'intolérance.

Ce midi, comme toujours, Vera traîne Tristan avec elle. C'est purement et simplement égoïste, car chaque nouvelle réunion de famille qu'elle lui impose s'avère être une torture - mais le fait de le savoir là la réconforte, en quelque sorte. Et lui donne l'espoir qu'un jour, enfin, Addison Gardner fera un effort pour l'apprécier. Peut-être. Ou bien même pour le tolérer. Chaque nouvelle tentative est un échec, et Tristan n'a de toute façon pas réellement envie de se fondre dans la masse de l'imposante famille Gardner - pour autant, Vera ne cesse jamais d'essayer.

― Non, il est hors de question que tu regardes Netflix tout seul ici pendant que je me fais torturer par ma famille.

La réponse ne souffre aucune discussion - de toute façon, il est déjà prêt, et Vera se doute bien que cette tentative d'échappatoire est vaine, même dans l'esprit de son meilleur ami.

Ils filent jusqu'à la demeure familiale, et patientent tous deux devant la porte qu'on veuille bien leur ouvrir. Vera a acheté des fleurs, que sa mère mettra sans doute dans un vase dans un coin de la cuisine - parce que des fleurs triées sur le volet occuperont déjà la table du déjeuner. Le sens du détail de sa mère n'a pas de limites. Quand Tristan espère qu'ils ne sont pas seuls, Vera, elle, espère que les autres seront déjà là.

― Pourquoi est-ce que ma mère nous aurait invités seulement tous les deux ? elle demande, en haussant une épaule peu convaincue.

Et pour une fois, ce n'est pas Addison qui ouvre la porte, mais Daniel. Vêtu d'un pull over bleu lavande sur une chemise assortie, d'un pantalon de costume - il sort sans doute de la messe, amen - et d'un sourire mitigé - comme s'il souriait pour sa fille et se retenait pour Tristan.

― Bonjour ma chérie, qu'il lance, guilleret. Il dévisage Tristan, lui offre un hochement de tête complètement condescendant, et ouvre la porte en grand pour qu'ils puissent entrer. Vera lève les yeux au ciel, attrape la main de son meilleur ami de sa main libre - au cas où il soit en train de réfléchir à l'idée de partir en courant - et le traîne à l'intérieur, embrassant la joue de son père au passage.

Trente secondes. C'est le temps qu'il faut à Addison pour débouler, telle une furie, dans le hall d'entrée, tous bras en l'air.

― Je t'avais dit que j'allais ouvrir, Daniel ! elle lance en assassinant son mari du regard, punition ultime pour cette grave entorse aux règles de la maison. Vera, ma chérie, elle ajoute en l'englobant de ses bras, avant de baisser les yeux pour constater que les mains de Vera et Tristan sont liées, ce qui crée un silence de trois bonnes secondes pendant lequel elle recule de quelques pas tout en affichant un air mi médusé, mi dégouté. Tristan, finit-elle par ajouter en hochant la tête.

― Vous êtes les premiers.

Chouette. Vera inspire, et se tourne vers Tristan.

― Donne moi ta veste, je vais nous débarrasser. Addison et Daniel profitent de cette initiative pour regagner le salon, et Vera s'occupe de leurs vestes. Courage, dans quatre heures on pourra raisonnablement s'en aller.

Est-ce que c’est sa faute à Tristan si les parents de Vera sont des tortionnaires ? Non. En toute logique, elle ne devrait donc pas lui imposer des dîners si souvent. Mais comme sa très chère amie ne sait pas se passer de sa présence, l’argument ne lui fait ni chaud ni froid. D’ailleurs vu son tempérament complètement autoritaire, inutile de préciser de qui Vera tient le plus. L’ouverture d’esprit fait une différence notable, il est vrai, mais elle reste une fille Gardner, plus que Nathan, qui lui fait un peu peur avec son flegme et sa petite vie parfaite. Pas qu’il ne l’aime pas d’ailleurs, mais il ne sait pas vraiment quoi lui dire. Il y a des gens comme ça qui sont impressionnants. Et il y en a d’autres comme Vera qui sont tout simplement chiantes, mais que dont vous ne pouvez plus vous passer au bout d’un moment.

- Je ne sais pas, parce qu’elle pense qu’on cache notre union depuis des années ? Le prend pas mal, mais je commence à voir la ressemblance. T’arrêtes pas de me donner des ordres !

Très souvent d’ailleurs. Mais comme il est bonne pâte, Tristan ne s’en offusque pas, s’appliquant gentiment à faire plaisir à Vera en l’accompagnant sagement aux dîner de famille, même si il râle un peu. Certaines de ses ex seraient d’ailleurs navrées (et peut-être un peu jalouses), de voir qu’il est en en réalité tout à fait possible de le mener à la baguette. Il suffit d’être Vera Gardner. Cette famille causera sa perte, il le sait.

Les parents de Vera finissent par leur ouvrir, d’abord Daniel qui l’ignore presque, puis Addison, qui le salue vaguement. Tristan a l’habitude avec le temps. Le compagnon de Nate n’aura pas créé le scandale bien longtemps. C’est de nouveau lui, Tristan le loser. Tristan enlève sa veste et souffle déjà fatigué par tout ça.

- Quatre heures c’est long, Vera.

Précision importante. Tristan n’a sûrement pas la même notion du temps que son amie lorsqu’il s’agit de ces dîners. Pour lui 4h c’est presque le double. Cela fonctionne un peu comme la météo. Différence notable entre les températures réelles et les températures ressenties.

- Tu peux pas envoyer un message à ton frangin pour lui dire se dépêcher ? Ta mère passera son temps à l’écouter parler, et je pourrais faire des origami avec les serviettes en papier.

Histoire de se détendre, rien de dramatique.

Même si Addison Gardner pensait réellement sa fille en couple avec Tristan, elle n'aurait pas pris le risque de les inviter seuls, tous les deux, par peur sans doute de ne donner l'impression d'encourager la relation atroce de sa fille. Addison ne supporterait sans doute pas l'annonce d'une éventuelle relation entre eux. Addison est une femme qui sait ce qu'elle veut pour ses enfants. Ce qu'elle veut, ce n'était très certainement pas une relation entre Nathan et un homme mexicain. Ce qu'elle veut, ce n'était très certainement pas qu'Oliver cesse de lui adresser la parole, et que Lucas passe sa vie à attendre que quelque chose lui tombe entre les bras sur le canapé du salon. Ce qu'elle veut, c'est que tous ses enfants soient mariés, heureux, avec de belles familles comme la sienne. Addison est donc très certainement totalement frustrée par les profils et les parcours de ses enfants - mais elle a aussi compris qu'il fallait qu'elle use de patience et de tolérance si elle voulait éviter que la situation Oliver ne se reproduise avec ses autres enfants, au sommet duquel Nate, le fils prodige, celui qu'elle refuse de heurter plus de deux jours d'affilée. Il y en a eu, des disputes entre Nate et sa mère. Mais jamais n'ont-elles duré. Et c'est tant mieux, car Vera traite son frère Nate comme s'il était plus jeune. Hors de question que qui que ce soit ne touche à un cheveu de son frère Nate.

― Quatre heures, et tu pourras me demander le service que tu veux, okay ? elle demande, en lui claquant un baiser sur la joue pour être gentille.

Elle prend une inspiration et s'empare de son téléphone pour envoyer un message à Nate, qui n'est pourtant jamais en retard, à moins d'une catastrophe naturelle frappant sa maison. Elle lui intime de se dépêcher - gentiment. Elle se sent moins mal à l'aise quand Alej et Nate sont là pour occuper les parents, il faut le dire.

― Ca y est, je lui ai dit. Mais Lucas doit être là, je suis sûre qu'il va adorer entendre toutes tes histoires de soirée - et pendant ce temps, j'occuperai mes parents. Deal ?

Elle lui offre un sourire bright et l'entraîne vers le salon. Son plus jeune frère est effectivement installé dans le canapé et se lève pour leur dire bonsoir. Vera s'empresse d'attraper une coupe de Champagne et en refile une à Tristan.

― Nate arrive, elle lance en souriant, à l'attention de toute l'assemblée. Sa mère lui offre un sourire radieux et son père se sert un whisky. Tristan en veut bien un aussi, elle lance en penchant la tête et en récupérant la coupe des mains de Tristan.

Bonding. Preach.

Le service qu’il veut ? Tristan ne va définitivement pas oublier cette partie de la conversation. Si Vera espère le faire boire au point de lui faire oublier ce léger détail en lui imposant sa famille qui rendrait n’importe qui un peu trop porté sur la bouteille, elle se trompe lourdement. Tristan a la mémoire très courte parfois, mais disons qu’elle est très sélective lorsque la situation l’impose. Certes il va vider les bouteilles de vin sur la table pour tenir le coup, mais Vera peut être sûre qu’il se rappellera de ce léger détail.

- Je n’oublierais pas Gardner

Un clin d’œil plus tard, elle lui annonce que les frères les moins désagréables se joindront à la fête. Tant mieux. Lucas est un type cool, un peu fainéant pour certain, mais puisqu’il est le seul Gardner en dehors de Vera à savoir apprécier sa pétillante personnalité, alors il faudra s’en satisfaire. Le coup d’éclat serait sans doute de charmer son frangin Nate (le chouchou de ces dames), mais Tristan doit admettre que l’avocat l’impressionne beaucoup trop. Savoir autant de choses sur une personne sans jamais avoir eu l’occasion de réellement discuter, une recette pour un désastre.

- Tes parents ne vont pas oublier ma présence, they never do

Vera a beau essayer de les occuper tant qu’elle veut, Mrs Gardner et son mari trouvent toujours le moyen de lancer quelques piques au passage. A croire que ça les amuse, qu’il s’agit de leur sport favori. Il se dirige néanmoins vers le salon et salue Lucas avec un grand sourire. Trop peu de visages sincères, il faut en profiter.

- Ou une bière, une bière c’est bien aussi.

Il ne faudrait pas commencer trop fort. Et puis vider les bouteilles de bons Whisky du père Gardner, ce serait pactiser avec l’ennemi. Celui-ci pourrait penser qu’il a du goût et qu’il est l’homme idéal pour Vera. Hypothetically.

Vera s'impatience, intimant à Alejandro l'ordre de se dépêcher - son objectif n'était pas vraiment d'être la première sur les lieux. Elle sait combien sa mère peut se montrer objectivement désagréable, même dans un moment qui ne semblerait opportun à personne. Addison Gardner a une façon bien à elle de signifier quand les choses ne lui conviennent pas, et jusqu'à présent, Nathan est le seul de ses enfants qui a réussi à l'adoucir en lui imposant ses choix. Sans doute parce qu'il est le favori de sa mère - aucun doute là-dessus. Vera ne s'en est jamais offusquée ; elle, elle n'aspirait qu'à un peu plus de libertés sociales. Moins d'oppression familiale. Avec Nate en bon leader, en premier de la famille, et Theo en lèche-bottes à sa suite, elle était à peu près certaine d'être tranquille - jusqu'à ce qu'Oliver parte en vrille et que la famille connaisse une première déchirure. Depuis, Addison déploie des efforts surhumains à organiser des dîners et des petites sauteries familiales dans tous les sens. Et personne n'a tellement envie de lui dire non.

La seule consolation de Vera, c'est d'amener Tristan - mais elle l'emmène pour qu'il soit avec elle, pas pour qu'il se fasse maltraiter tout seul. Et tant que Nate ne rafle pas la vedette avec son sourire charmant et son boulot passionnant, Tristan est une cible à abattre.

Quand elle l'entend réclamer une bière, Vera secoue la tête avec un petit air dépassé.

― T'es sûr ? Le whisky de Papa est excellent, elle insiste, d'un air crispé. Addison semble consternée - elle qui affichait une mine si radieuse quelques secondes auparavant, et Daniel a arrêté son geste alors qu'il s'apprêtait à remplir un autre verre pour Tris.

― Nous n'avons pas de bières, de toute façon. Il faut dire que tous nos gendres boivent des choses complètement différentes, on s'y perd, à force, réplique Addison en accompagnant son ton courroucé d'un haussement d'épaule. Tous nos gendres, c'est en fait seulement Alejandro, puisqu'elle n'a pas d'autre gendre - pour lequel elle fait l'effort parfois d'acheter une bouteille de téquila, surtout pour faire plaisir à Nate.

Daniel remplit le verre sans chercher plus loin et le temps à Tristan, et Vera soupire, s'apprêtant à répliquer quand la porte d'entrée claque.

― Nate, enfin, lance-t-elle en écartant les bras joyeusement pour gambader jusqu'à son frère - volant ainsi le tour de sa part. Tu arrives à pic, elle murmure dans l'oreille de son frère aîné. Elle le garde un instant dans ses bras, et le libère pour aviser Alejandro.

― Hello Alej, elle lance sans se départir de son sourire. Maman était justement en train de me dire qu'elle avait acheté une bouteille de téquila, elle lance, et Addison s'approche pour embrasser les nouveaux venus.

Et juste à ce moment là, Lucas descend de sa chambre, cheveux en bataille, chemise à peine boutonnée.

― Bois-le lentement, ton verre, tu veux ? elle murmure à l'oreille de Tristan en grimaçant. Je sens que ça va être sportif. Tout le monde a l'air d'excellente humeur.

Tristan est un emmerdeur il le sait, et avec les Gardner il ne peut pas vraiment s’empêcher, sans doute l’habitude. Peut-être que son passé douloureux avec les messes traumatisantes auxquelles il a dû accompagner Vera pour pouvoir passer le week end sont aussi à l’origine de son comportement plus qu’irritant pour tout Gardner normalement constitué. Toujours est-il qu’il demande une bière, sous l’air consterné d’à peu près toute la famille. Il jette un regard à Vera qui semble déjà regretter de l’avoir forcé à venir avec elle.

- Je peux prendre comme Alejandro sinon, je ne voudrais pas ajouter à la diversité de la famille Gardner en termes d’alcool fétiche.

Sûrement pas la bonne réponse, mais la remarque de Tristan est noyée par l’arrivée de Nathan et de son mari qui attirent par chance l’attention de tous les Gardner du coin. Vera enlace donc son frère et Alejandro plaisante discrètement avec sa belle-sœur.

- Nathan a le droit à un câlin et pas moi ?

Le mexicain ouvre les bras dans un rire et Tristan avise le père Gardner avec sa bouteille de Whisky.

- Un whisky alors. On verra pour les shots ensuite.

Levée de regards tournés vers le ciel. Ceux-là ne sont pas catholiques pour rien. Tristan se fait servir et les suit pour s’installer à table, dans une discrétion proche du caméléon. Assis à côté de l’impressionnant Nathan, il tente de faire la conversation avec les deux frangins.

- Pas trop de boulot avec ce retour de vacances ?

Il jette un regard à Vera, il aura essayé de lancer la conversation.