MINI INTRIGUE #1 you talkin' to me?

La cubaine ajuste son sac à main sur son épaule, pour se donner une contenance, et accélère le pas, avec le vague sentiment paranoïaque d’être suivie. Fais chier. Fait chier ce travail de merde, fait chier de terminer si tard, fait chier ces émeutes et ces histoires, et puis fait chier ce couvre feu. Elle n’a pas le droit de s’amuser dans les rues à cette heure là, elle le sait très bien, merci. Elle ne s’éclate pas, comme vous avez l’air de le pensez, figurez vous. Non, elle se saigne au travail pour dépenser son argent dans un loyer qui lui paraît exorbitant, et qui lui permet de bouffer du riz à l’eau. Nice. Elle a eu une soirée de merde, un service interminable, évidemment qu’elle n’a pas réussi à négocier de se barrer plus tôt du boulot, parce qu’elle ne peut pas rentrer chez elle ensuite. Là, maintenant, elle en veut à la terre entière, contre ce merdeux à cause de qui le quartier se retrouve dans gourbier, alors qu’elle ne sait même pas si c’est de sa faute ou pas. A ces débiles qui trouvent fun de brûler des poubelles, ils peuvent pas aller cramer avec, pendant qu’on y est ? A ces connards qui trouvent tellement intelligent de limiter la liberté des autres, avec un putain de couvre feu. Ces mêmes cons qui ont sans doute pas besoin d’aller bosser jusqu’à pas d’heures pour quelques dollars de pourboires. Voilà ce qu’elle est obligée de faire Stella du coup, elle est dans l'illégalité, parce qu’on ne lui laisse pas le choix. Les autorités ne lui font pas peur, c’est une grande fille hein, mais elle ne tient pas non plus forcément à se retrouver nez à nez avec une patrouille de nuit. Elle a juste envie qu’on lui foute la paix, c’est genre, trop compliqué à demander ? Même ses talons qui claquent contre le bitume semblent lui crier qu’elle est hors la loi, et ça n’arrange pas les choses lorsqu’une silhouette marche à sa rencontre. Le lampadaire sous le lequel il se trouve est éteint, comme par hasard, histoire de donner une dimension encore plus glauque à la situation. Elle ne peut pas vérifier s’il s’agit d’un mec, une meuf, en uniforme ou pas. Il se rapproche. Great.

résumé:

Quand les journées de travail se terminent aussi tard, c'est avec le maquillage presque effacé et la mine fatiguée que Cass doit rentrer chez elle. Dans un Bronx qu'elle adore mais qui n'est certainement pas des plus sympathiques surtout en ce moment – quoi vous n'avez pas entendu ? Les émeutes font rage, les gens du Bronx en ont ras le bol et mal à la tête de ces grosses productions américaines qui les virent de chez eux comme s'ils n'étaient rien de plus que du bétail. Ils en ont marre aussi d'être toujours regardés par les chaînes d'information comme les voyous, la plaie de New York, des personnes qui ne pourront rien espérer de mieux que ces murs couverts de graff, ces vie de merde et cette odeur de pauvreté. Comme elle les comprend Cass, même si jamais elle ne participerait à une émeute, car vraiment comment mieux faire voir aux autres ce qu'ils veulent voir qu'en cassant des vitrines, brûlant des voitures et tout le reste. Oui ils sont en colère, et ils en ont le droit. Merde, elle en connaît un rayon sur la colère la serveuse. Mais pourquoi détruire son quartier qui n'y est pour rien. La colère aveugle est plus destructrice que la rage contenue qui brûle dans ses entrailles.

Et voilà que maintenant un couvre-feu est installé. Super, bienvenue dans le futur de la non liberté d'exister. Ca lui rappelle les livres de science-fictions qu'elle dévore depuis qu'elle est toute gamine. D'un geste brusque et déjà agacé, Cass se faufile par la porte de l'arrière-boutique. Dan avait insisté pour qu'elle rentre chez elle plus tôt, « t'en fais pas je fermerai boutique plus tôt » qu'il lui avait dit. Mais hors de question pour sa fille de cœur de se débiner, elle en a du courage. Et puis s'il avait été obligé de fermer à cause de ces lois stupides et outrageantes, ça aurait fini de la mettre en pétard. Alors, elle a insisté – et gagner gain de cause comme à chaque fois, ou presque – et est restée. Mais voilà, il est tard, ou tôt selon comment on voit les choses, et elle ne devrait pas être là dans ses rues désertes, avec pour seul bruit le grincement d'une poubelle renversée par un chat famélique – how cliche.

Le cœur battant à tout rompre, les pieds aussi silencieux que possible sur le bitume collant, Cass avance dans cette nuit froide et dangereusement silencieuse. Comme son quartier est différent ce soir, sans les odeurs délicieuses des petits boui-boui qui ne ferment jamais, sans les insultes des amis éméchés, sans tout ce qui fait sa maison, en bien comme en mal. Ce soir, pour la première fois depuis qu'elle est née, Cassandra Moore se sent seule dans les rues. Un frisson de peur – sentiment bien étranger à la blonde – la traverse quand elle aperçoit une ombre au devant d'elle. Il en faut peu pour la faire sursauter, réaliser qu'inconsciemment, Cass s'est mise à courir, sans le vouloir, sans le savoir. D'un geste brusque, elle ralentit. Plissant les yeux sous ses lunettes de vue – parce que oui elle en porte – car elle enlève toujours ses lentilles après le boulot, elle entrevoit les courbes de la féminité. Un peu rassurée, mais pas complètement, on sait tous que y'a des femmes qui sont des tarées. Elle s'avance. Et c'est là qu'elle le voit, le mec qu'elle avait raté, caché qu'il était par l'absence de lumière. Fuck. Fuck, fuck, fuck. D'instinct, un truc bien primaire qui lui écorche les boyaux, Cass partirait bien dans l'autre direction. Mais s'il y a une chose qu'il faut savoir sur Cass, derrière son cynisme, ses sarcasmes, son je-m'en-foutisme invétéré, c'est qu'elle n'écoute jamais son instinct, surtout quand il lui dit d'abandonner une femme à son sort peut-être funeste. Alors, les tennis repartent et accélèrent en direction des deux ombres. Et une voix – sa voix – se fait entendre, pas trop fort non plus, faudrait pas rameuter tout le quartier, avant que son bras passe autour de la jeune femme, comme pour pas l'effrayer, pour la rassurer. « Hey, mais qu'est-ce que tu fais là, je t'ai cherchée partout. Tu sais que maman va s'inquiéter si tu ne rentres pas vite. Déjà qu'on n'a pas le droit d'être là. » Elle espère que ce sera suffisant, et surtout que le mec, s'en est un elle en est sûre maintenant, ne peut pas entendre la mélodie folle de son cœur contre sa cage thoracique.  

Résumé:

Bien vite, c’est une présence masculine qui se dresse devant elle. Stella ne veut pas être effrayée. Elle ne l’est pas. C’est avec cet état d’esprit qu’elle continue d’avancer, bien que son coeur soit plus battant que jamais. Elle garde le menton haut, les yeux fixé au loin vers l’avant, le pas sûr pour prouver qu’aucune situation n’est en passe de la déstabiliser. Elle sait que deux options s’offrent à elle : soit l’homme préfère l’ignorer et trace sa route lui aussi - après tout l’un comme l’autre non pas le droit d’être là. Deuxième solution il l’aborde et trouve cette idée plus que judicieuse, comme si emmerder une meuf est toujours le plan du siècle. Evidemment, le temps de capter son sourire goguenard, elle sait ce qui l’attend, et non, please, elle n’a pas envie. D’avance elle se sent partagée entre l'irritation et une adrénaline grandissante, car sans témoin, difficile de se sortir d’un mauvais pas - merci le couvre feu. Il la salue, elle prend le parti de l’ignorer, mais c’est peine perdue puisqu’il choisi de la suivre. On est donc sur du gros relou de première, sans aucun doute, et elle sent son sang de latina ne faire qu’un tour. Elle souffle comme un boeuf pour montrer son agacement, quand elle capte un mouvement de tissu qui lui indique la présence d’une tierce personne. Le contact doux qu’elle lui apporte indique une aide féminine - la meilleure - qu’elle n’attend plus. La dévisager de côté lui permet de reconnaître Cass’ qui devient tout à coup sa bonne étoile, et un poids s’envole, bien que rien ne soit gagné. Cela lui permet en tout cas de rentrer facilement dans son jeu. “Des problèmes, dans les transports. J’ai du prendre une autre sortie.” indique t-elle en disant tout ce qui lui passe par la tête, tant pis si cela manque de véracité, ou même si ça paraît crédible.

Le stratagème fonctionne, elles s’éloignent d’un pas rapide sans non plus paraître trop pressé, le moment tendu est désamorcé. Le gars renonce rapidement, peut être partagé entre la lâcheté et en semblant de raison aussi, peut être. “Oh god, hallucinant de devoir quand même tomber sur des types comme ça alors qu’il n’y a pas un chat dehors. Merci.” souffle t-elle reconnaissante. Rien de grave à déplorer à l’horizon donc, pourtant le petit “et si” ne manque pas de lui trotter dans la tête. “Pourquoi est-ce que tu n’es pas chez toi d’ailleurs ?” questionne t-elle presque de façon inquisitrice. Elle a rencontré Cass grâce à un groupe Facebook mettant en lien vendeurs et acheteurs particuliers de vêtements, meubles et autres bricoles, comme on en trouve beaucoup sur le réseau social, celui ci étant spécifique du Bronx. Stella avait justement besoin de sa table basse le jour où elle la contacté, et leur rencontre aurait dû en rester là après l’échange. Le courant est passé cependant, et les textos de remerciements se sont transformés en une vraie discussion, et début d’amitié.

Conclusion : ne jamais sous estimer le pouvoir d’une table basse.