you don't lie to your bestfriend | ricardo

Alejandro connaît Ricardo depuis tellement d'années maintenant qu'il a l'impression qu'il a toujours fait partie de sa vie. A la manière d'un frère, Ricardo était là pour les bonnes comme les mauvaises passes, les bonnes nouvelles comme les déceptions. Certes son côté dramatique pourrait rebuter plus d'un, mais ça n'a jamais été le cas entre ces deux là qui entretiennent une amitié inflechissable depuis leur arrivée aux Etats-Unis. Malgré leur personnalité presque radicalement opposée, leur relation est quelque chose de précieux pour Ale, qui n'a pas hésité à le convaincre de travailler dans le même établissement scolaire où ils enseignent désormais. On pourrait croire qu'après leurs quelques années en colocation, le plutôt calme Alejandro aurait eu sa dose de drame, mais ce serait sous estimer leur belle amitié. Voisins aujourd'hui, rien ne semble près de les séparer aujourd'hui.

C'est donc assez régulièrement que Ricardo échoue dans sa salle à manger avec son paquet de copies et une Magarita sur le côté, pour essayer de composer avec les baguette baguette baguette qui rythme ses examens. Les langues étrangères ça n'a jamais vraiment passionné les petits américains. Il y a des exceptions certes, mais pas assez pour les priver inventer quelques drinking games en corrigeant. Pas très éthique certes, mais il faut bien tenir le coup. Entre leurs mariages remplis de tensions et le climat politique actuel, se priver de tequila serait signer son propre arrêt de mort.

Quelque chose a changé à l'école cela dit. Et Alejandro n'est pas stupide au point d'ignorer qu'il s'est retrouvé seul pendant une bonne heure lors de la soirée du samedi dernier. Ils attend une confession plus que des explications pour être honnête. Ricardo n'est pas un très bon menteur, pas avec lui en tout cas, il ne comprends toujours pas pourquoi il se fatigue.  Ca ne l'empêche pas d'essayer cela dit, même si il finira évidemment par geindre sur son épaule comme un gros bébé une fois qu'il aura trouvé le courage d'avouer s'être tapé leur nouvelle amie et collègue.

- Shots ? Tu n'as pas l'air d'avoir passé une très bonne nuit Rico...

Culpabilité non ? Ale fait l'effort de ne pas l'appeler Ricky, histoire de ne pas le braquer tout de suite.

- J'ai proposé à Anjelica de nous rejoindre, mais elle n'est pas disponible, scandale! Elle n'a jamais refusé une aprem correction et cocktails avant ça, je me demande si tout ça n'aurait pas un rapport avec samedi soir...

Ricardo dort mal. Depuis plusieurs jours, Ricardo dort très mal. Ses nuits sont rythmées de pensées tantôt excitées de la nouveauté qui chamboule sa vie, tantôt emplies de culpabilité pour l’homme charmant qui partage son lit depuis tant d’années. Il n’est pas homme à tromper son mari, ne l’a jamais été. Pour être honnête, il s’était une fois retrouvé dans la position du trompé et avait décidé de dédier sa vie entière à la lutte contre l’adultère, sauvant autant ses petites sœurs que ses ami·e·s des mains de ces vilain·e·s manipulateur·trice·s incapables de changer. Voilà qu’il se retrouve à présent dans la position dudit crétin pour lequel il a tant d’aversion. Il pense alors à Sebastian, son compagnon depuis dix ans, mari depuis deux. Il pense à combien il l’aimait il fut un temps, à combien il l’aime encore d’une certaine manière bien différente, au mal qu’il lui fera sans doute. Puis, ses pensées dérivent vers les absences à répétition du rouquin, à la dernière fois qu’il l’a regardé, serré dans ses bras, touché comme avant leur mariage et sa culpabilité laisse place à un autre sentiment bien plus plaisant. Les instants qu’il partage depuis peu avec Anjelica ont tout du début de sa relation avec Sebastian. Il retrouve ce qu’il aime tant dans l’échange amoureux, il retrouve l’excitation, la passion, il oublie la routine quotidienne et laisse place à l’inconnu. Son mariage bat de l’aile, il ne faut pas avoir d’expérience en thérapie de couple pour s’en rendre compte. Assez pour qu’au final, il finisse par se dire que sa réaction à cet échec, à ce manque d’attention qu’il reçoit, reste logique, bien qu’impardonnable.

Et dans le tas, au milieu de ces quelques moments où il a l’impression de faire le bon choix, une nouvelle angoisse prend le pas sur les autres :

Il couche avec la sœur de son meilleur ami.

Soyons francs, il va sans dire qu’Alejandro est le frère qu’il n’a jamais eu. Son plus grand confident. La personne qui le connait mieux que son propre mari, peut-être même que sa propre mère. Et Anjelica a beau être leur nouvelle collègue et corriger les copies avec eux devant plusieurs margaritas pour tenir le cap, elle n’en reste pas moins la petite sœur. Une bien drôle de manière de conclure ce lien de fraternité qu’ils se sont toujours déclaré.

Ainsi, lorsque Ricardo – qui a passé la moitié de la semaine à éviter son ami pour des raisons plus qu’évidentes tout en prétendant le contraire – passe la porte de la maison d’Alejandro pour une nouvelle après-midi corrections… il a littéralement ce qu’on appelle dans le jargon « une sale gueule ».

- Des shots me semblent une bonne idée, grogne-t-il en ignorant sciemment la remarque sur la nuit qu’il a passée.

Référence à samedi soir. Rico sait que son ami n’est pas dupe. Depuis le temps, il a compris que quelque chose se passait. Le brun ne se sent pas d’attaque à en parler tout de suite, cela dit, bien que son esprit torturé n’aurait pas besoin de beaucoup pour craquer et avouer son horrible crime. Il joue la carte du semblant de rien, piètre menteur cependant :

- Samedi soir ? Pourquoi, elle a eu un problème ?

Non non, Rico, vous l’avez simplement planté pendant une heure.

- Je n’ai rien entendu, pourtant. Bizarre…

Ouais, ouais. Bizarre.

Alejandro lève les yeux au ciel avec exaspération. Ricardo a tendance à oublier un peu trop souvent qu’ils se connaissent depuis qu’ils sont enfants, mais aussi qu’ils ont vécu une dizaine d’années ensemble, ce qui n’est tout de même pas négligeable. Autant dire que vu les circonstances, jouer la carte du mensonge éhonté est la pire des idées possibles. Ricardo s’y essaye cependant avec bonne volonté, prouvant une fois de plus que malgré son sens du drame, il ne devrait pas s’essayer à la comédie.

Ale quant à lui hoche la tête peu impressionné par la qualité de l’argumentaire du pire menteur de l’univers. Si Ricardo avait l’intention (un peu idiote) de garder ce léger détail pour lui, il ne commettrait pas l’erreur de venir boire chez son meilleur ami, à qui il ne peut manifestement rien cacher. Une question de bon sens, mais décidément pas pour Ricardo Diaz.

Bras croisés, regard juge de circonstances, Alejandro hésite entre la cuisine en bonne et due forme et la confrontation brutale, mais frontale qui règlerait le problème en un temps record.

- Bizarre en effet.

C’est franchement le moins qu’on puisse dire.

- Presque aussi « bizarre » que votre disparition simultanée à tous les deux samedi soir.

Il avait alors dû éconduire quelques personnes qui s’étaient évidemment pris de pitié pour le pauvre homme installé au bar à descendre des shots. Pas vraiment la soirée qu’il s’était imaginée, il faut le dire. De plus, les circonstances de cette disparition ne peuvent pas tolérer une explication innocente. Alejandro a des yeux. Il sait à quoi ressemble de la tension sexuelle, quand il a l’occasion d’en observer. Si Ricardo est indéniablement une bien meilleure personne que le mari de sa sœur, il n’irait pas jusqu’à dire que l’idée le réjouit pour autant. Anje et Ricardo sont des adultes cela dit, ce n’est pas à lui de leur faire la morale. Après une hésitation, Ale se lance, n’y allant par par quatre chemin.

- T’es conscient que je suis au courant right ? Vu ton discours, j’aurais presque l’impression tu essayes me mentir effrontément, ce qui serait comme tu le sais bien mauvaise idée, puisque tu ne sais absolument pas mentir…

Alejandro sait qu’il vient d’enclencher la fonction on de l’option drama queen de Rico, mais dans la mesure où il n’aurait pas pu éviter cette phase, autant que les choses soient claires dès le début.

Ricardo a toujours été un piètre menteur. Loin d’être convaincu par sa performance, il s’essaie tout de même au semblant de rien – qui, sur un malentendu, pourrait tout à fait marcher… avec quelqu’un d’autre qu’Alejandro. Peut-être. Rico se décompose au fur et à mesure des sous-entendus de son meilleur ami. Il n’est pas con, ne l’a jamais été, pour être tout à fait honnête il se pourrait même qu’il soit la tête de leur petite bande... et il ne dit pas ça parce qu’il s’est fait griller en moins de deux secondes, non – ça, il s’en doutait déjà avant même d’avoir ouvert la bouche en premier lieu.

- Ben, je…

Il avale un shot. S’en sert un second qui subit le même sort. Pense à un troisième, se ravise. Si cela ne fait qu’empirer la situation, il a bien besoin d’un peu de tequila pour sortir les quelques mots qui rendront le tout bien vrai : « Alej, j’ai couché avec ta sœur. » Trop brut. « Alej, ta sœur et moi avons honoré l’acte de l’amour », jeez, bien trop solennel.

- Alej…

S’il a toujours tenté de parler anglais au maximum – on le déteste déjà assez comme ça, merci bien -, plus aucun mot ne lui revient et l’espagnol prend le dessus. Avec l’accent espagnol, évidemment, pas son bel accent mexicain trafiqué d’imposteur, non. Le langage de la panique à l’articulation douteuse est de sortie.

- Okay, okay, j’ai… ta sœur… pitié me frappe pas ! Pas le visage, je tiens à mon nez, et…oh, fuck !

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la dramaqueen est à genoux par terre devant son ami, alternant entre joue tendue en pensant qu’il le mérite bien et implorations dignes d’une mauvaise telenovela.

- M’en veux pas, d’accord ? J’étais pas… Je… J’aurais pas dû okay, je suis marié, elle aussi, je sais même pas ce qui m’a pris ! Elle m’a… elle est… C’est ma faute, Alej, c’est totalement ma faute. T’as tous les droits de m’en mettre une, tu peux, je ferme les yeux…

De quoi se moquer. Beaucoup se moquer. Il n’y en a probablement qu’un qui ne trouve pas ça très comique, actuellement… à part peut-être la vieille Whitman, qui à tous les coups a déjà les mains sur le téléphone, prête à appeler la police si une bagarre entre deux « immigrés sauvages » venait à éclater…

Alejandro ne comprendra jamais pourquoi Ricardo essaye de lui parler en anglais. Il n’y a rien de plus étrange et peu naturel qu’un compatriote qui cherche absolument à communiquer dans une autre langue que la sienne avec un autre compatriote. Par chance, cela ne dure jamais longtemps, probablement parce qu’Alejandro lui répond en espagnol de toute façon. Ce n’est un secret pour personne, Ale n’a jamais été un grand fan d’assimilation culturelle, au grand dam de beaucoup de gens, c’est vrai, mais c’est une simple question d’honneur pour lui. Il a beau vivre aux Etats-Unis, il ne se considère pas américain pour autant. S’il utilise l’anglais en groupe pour ne pas exclure Nathan en l’occurrence, il n’a aucune intention de faire le même effort avec son meilleur ami, en particulier lorsque il vient chouiner après une connerie plus grosse que lui.

Alejandro croise donc les bras, et adopte cette expression d’extrême suspicion que ses lunettes viennent souligner. Rico le connait suffisamment pour savoir que c’est avec les mots que son ami se défend, et non avec les poings, détail qui semble lui échapper dans son grand élan dramatique.

- Ricardo stop.

Il tente de l’arrêter, mais la tentative est bien vaine. Ricardo est désormais à genoux devant son ami, l’air plus coupable et dramatique que jamais. Parfois Alejandro se demande où il trouve le courage de supporter toute cette intensité. Son sens de l’amitié indéfectible sans aucun doute.

- Ricardo Diaz, est-ce que tu m’as déjà vu frapper qui ce soit pendant nos longues années de vie commune ? Lève-toi c’est ridicule, je ne vais pas te frapper. Te dire que tu es con oui, ça tu n’y échapperas pas.

Alejandro secoue la tête. Pourquoi faut-il toujours qu’il en fasse trois tonnes ? Un sourire amusé vient éclairer ses traits. Il aimerait rester sérieux face à cette scène d’une mauvaise série télé, mais c’est la toute la tendresse de l’amitié qui lie ces deux hommes.

- Toi et Anjelica vous êtes deux grandes personnes, je pense que vous savez tous les deux que je ne suis pas vraiment le problème dans l’histoire ?

Certes ils l’ont tous les deux abandonné pour s’envoyer en l’air, ce qui est en soit assez rude de leur part, mais le problème n’est pas là. Le problème c’est Sebastian, Anjelica se jetant à corps perdu dans une nouvelle relation sans prendre le temps de se remettre des dégâts causés par la précédente…

- Ce petit jeu avec Anje, ça fait des mois que ça dure, ce qui en soit ne me regarde pas vraiment, mais la prochaine fois, évitez de me planter dans un bar rempli de lourdingues. Ca me met mal à l’aise vis-à-vis de Nate et c’était pas vraiment ce que j’imaginais d’une soirée à trois.

Si Rico se fiche de l’avenir de son mariage, ce n’est pas le cas d’Alejandro qui ne voudrait pas que Nate pense qu’il est sorti draguer pendant qu’il faisait des heures supplémentaires.

Alejandro a raison – Ricardo agit comme un enfant et de manière plus que ridicule. Depuis le temps qu’ils se connaissent, il doit probablement aussi savoir qu’il n’arrêtera pas de sitôt de se comporter comme le dernier des crétins, autant qu’il n’est pas prêt d’arrêter de s’en vouloir pour ce qui est arrivé avec Anjelica. Tout comme il n’est pas prêt de se la sortir de la tête. La situation est bien trop compliquée pour un esprit si facilement torturé que celui de Rico Diaz qui troquerait volontiers quelques problèmes contre une petite vie tranquille… avant de s’accorder sur le fait qu’il s’ennuierait plutôt pas mal, dans ce cas.

Il soupire, lève les yeux au ciel d’un air implorant et se relève finalement, d’accord avec Alejandro qui a toujours réussi à lui remettre les pieds sur terre.

- Ouais, finit-il par acquiescer. Ouais, désolé pour ça, d’ailleurs. C’était clairement pas prévu de te planter là.

Si Rico agit comme un enfant, parfois, il ne se rend pas toujours compte des conséquences de ses actions. Sa décision de planter son meilleur ami au milieu d’un bar bondé fait partie de ces moments où il manque totalement de réflexion et d’esprit critique face à ce qui lui arrive. Mais Alej a raison – ce n’est pas ça, le plus grand problème.

- Qu’est-ce que je vais faire, pour Sebastian, Alej ?

La panique le gagne à nouveau en prononçant le prénom de son mari. Le bon sens voudrait qu’il lui avoue la vérité tout de suite et il serait bien plus facile pour le mexicain de le faire s’il était au courant des petites aventures de Sebastian, mais en attendant, à nouveau, il panique.

- C’est pas comme s’il était un mari exemplaire, de toute manière, c'est à peine si on se croise depuis six mois mais… et Anjelica, ce serait pas juste pour elle que… J’ai besoin d’aide, là. T’es le meilleur pour m’aider, Alej, j’ai besoin de toi, parce j’arrive plus à contrôler ce qui se passe !

Pas prévu de le planter là… Ouais il espère bien que ce n’était pas le plan de base ! D’ordinaire son meilleur ami et sa sœur sont des gens qui boivent beaucoup de tequila certes, mais qui ont une certaine notion du respect. Alej doit admettre que le respect est mort ce soir-là, avec sa patience et la Margarita de trop.

- J’espère bien…

Il souffle un peu pour manifester son mécontentement, mais dans le fond, Alejandro n’est pas bien rancunier. Pas avec Ricardo en tout cas. Et puis à en juger par sa tête et ses accès dramatiques, il a été suffisamment puni en s’imaginant le pire. Alej lui offre cependant un regard juge lorsqu’il évoque son mari. Pas qu’il soit un fan inconditionnel de Sebastian (ses petites remarques ultra white ayant souvent raison de sa bonne humeur), mais il n’en reste pas moins un type bien (du moins de ce qu’il en sait). Ce qu’il sait aussi, c’est que ce couple bat un peu de l’aile, et pas uniquement parce que Ricardo passe plus de temps chez lui qu’avec son mari.

Lorsqu’il parle de ne pas contrôler ce qu’il passe Alej hausse une épaule moqueuse et répond avec un sarcasme teinté de tendresse une tasse de café à la main.

- Clairement. Mais est-ce que tu as déjà contrôlé quoi que ce soit ?

Un sourire s’esquisse au coin de ses lèvres, alors qu’il tapote l’épaule de son meilleur ami. C’est un peu pour ça qu’il est là après tout.

- Tu l’aimes toujours ? Est-ce qu’il te manque quand il n’est pas là ?

Question un peu brutale pour un Ricardo perdu dans le désert du déni, mais il se doit de la poser. Il s’agit de sa sœur après tout. S’il accepterait leur relation sans rechigner, Anjelica n’est pas là pour éponger les problèmes de couple de Ricardo. Nathan lui manque terriblement lorsqu’ils s’évitent, trop effrayés à l’idée d’avoir une conversation désagréable.