he knocked her off her feet and then I knew it was the end of her / ollie

when I saw her walking down the street my heart stood still
and skipped a beat then he knocked her on the floor
but he wanted just a little bit more

En arrivant à New York, Mayes s'était promis que plus jamais elle ne jugerait son frère sous quelque prétexte que ce soit. Et elle avait tenu sa promesse, jusqu'à présent. Jusqu'à ce qu'elle le laisse choisir le bar où célébrer – en retard – l'anniversaire de mini Milburn. Qui se disait que foutre une tête de sanglier au plafond était une bonne idée ? Qui aimait passer sa soirée à écouter du country défraîchi et à bouffer des hot peanuts ? Hoyt, visiblement. Et les gens qui fréquentaient le Skinny Dennis. Et du coup, elle, aussi, un peu, peut-être.
Hoyt, Oliver et elle étaient de sortie, comme avant, quand ils étaient jeunes, innocents et encore intacts. Ah. Elle poussa un petit soupir de contentement avant de finir sa première bière et de tourner la tête vers ses deux compagnons, qui n'en étaient plus à leur première depuis quelque temps déjà. Hoyt, comme toujours, batifolait sans que personne, ni même lui, ne sache vraiment où il voulait que ces batifolages mènent. Et Oliver. Oliver était Oliver, et lui tenait compagnie. Ils avaient un peu discuté, et elle avait jusqu'à présent réussi à ne pas penser à la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés seulement tous les deux, parce qu'elle virait souvent au cramoisi dans ces moments-là et ce soir-là, elle avait décidé de passer un excellent moment de pure béatitude et de léger oubli, comme en témoignait la deuxième bière qu'elle venait de commander d'un geste nonchalant.
Lorsqu'Ollie s'éclipsa en compagnie de Hoyt avec la promesse de revenir très vite, elle ne broncha pas vraiment, trop occupée qu'elle était à fixer l'autocollant Nobody is ugly after 2 a.m. qui lui faisait face. Vu leur état, elle était convaincue qu'ils allaient tester le mini-bowling qui avait jusqu'à présent été monopolisé par une succession de groupes divers et variés. Et même si elle avait envie de les voir se ridiculiser, elle avait davantage envie de garder la table qu'ils s'étaient dégotée, alors elle resta seule. Pendant exactement quatre minutes et trente-et-une secondes (c'était la durée du morceau de country qui venait de passer, et elle en avait compté chaque seconde). Au bout de quatre minutes et trente-et-une secondes, quelqu'un la rejoignit, et ce n'était ni Hoyt ni Oliver. Ni personne de sa connaissance, d'ailleurs. Un rapide coup d'oeil l'aida à déterminer que c'était un joli bout de bonhomme, dans les vingt-sept ans, vaguement blond et empestant l'alcool. Un autre garçon, à peine plus âgé qu'elle, s'assit à son tour face à elle et posa son verre sur la table dans un bruit sourd. Mayella sut alors qu'elle pouvait dire adieu à sa béatitude et à son oubli. Sans vraiment s'en rendre compte, elle se raidit et resserra les doigts autour de sa bière. Et se remit à fixer obstinément son Nobody is ugly after 2 a.m. « Salut », s'exclama celui qui était à côté d'elle d'une voix trop forte pour être sobre. Comme elle était polie, docile et un peu bête, Mayes répondit « bonsoir », et c'était parti. Elle avait beau se tenir bien droite sur sa chaise, les jambes serrées et le regard droit devant elle, le message ne passa pas.
« Moi c'est Bram, commença celui qui la coinçait contre le mur, parce qu'il aurait été trop facile, pour une fois, d'offrir à Mayella Milburn une issue de secours.
– Norm, se présenta l'autre, que Mayes ignorait avec encore plus d'application.
– Enchantée, rétorqua-t-elle en rêvassant qu'elle avait le cran de leur dire que leurs noms collaient bien à leur attitude de fuckboys.
– Et toi ?
– Ma...rlene. Marlene », lâcha-t-elle presque à contrecoeur en jubilant intérieurement. Menteuse, menteuse, menteuse.
Elle se dit qu'ils en resteraient peut-être là, qu'elle pouvait difficilement être plus claire, pourtant Bram lui proposa de lui payer un verre, et elle se contenta de lui montrer sa bière pour lui indiquer que ce n'était pas nécessaire et lui faire comprendre sans oser parler qu'elle le trouvait bien stupide. Nobody is ugly after 2 a.m. lui assénait l'autocollant comme pour l'aider à s'ancrer dans quelque chose qui n'était pas la main de Bram qui venait de se poser sur son genou. Elle tremblait un peu, et il le sentit visiblement, retirant sa main pour lui offrir un semblant de répit. « Pourquoi tu fixes cette phrase depuis tout à l'heure ? Promis, t'es pas moche. » Et comme ça, sans prévenir, elle sentit une main se saisir de son menton et la forcer à tourner la tête vers Bram. Et au milieu de la terreur qui la rongeait, elle sentit une colère sourde et un besoin violent de l'extérioriser se frayer un chemin jusqu'à la surface. « Moi non... » et elle se dégagea de la main de Bram dans un geste de défiance qui dissimulait mal son effroi.

Quand Hoyt lui avait parlé d’organiser une soirée pour l’anniversaire de sa petite sœur, Ollie n’avait pu qu’approuver. Eux trois, seulement eux trois, comme au bon vieux temps. Il s’était préparé avec soin l’heure précédent le rendez-vous dans ce bar miteux de Brooklyn, avait mis un de ses vieux t-shirt préféré et un bomber noir qu’il s’était offert récemment. Il avait laissé consciencieusement sa barbe de trois jours, se souvenant quel effet cette dernière avait sur Mayella. Ils s’étaient alors rejoints devant le Skinny Dennis, heureux de se retrouver bien que les choses fussent suspendues entre les deux ex.

La soirée s’annonçait folle, promit Hoyt dans une excitation intense. Le bar où il les avait amenés avec des faux airs de bar paumé le long de la route 66, où de vieux bikers s’arrêtent prendre une bière. Et pourtant ils avaient eu quelques difficultés à trouver une table. Si la conversation entre Ollie et Mayes eut quelques difficultés à démarrer, une fois quelques bières descendues et Hoyt partit ‘vadrouiller’, la situation se détendit et leurs échanges redevinrent plus spontanés. Ils riaient, parlaient de tout et de rien et furent interrompus plusieurs fois par un Hoyt presque trop enthousiaste. Ils burent, rirent et s’échangèrent de longs regards. Mais Ollie se promit de rester sage, malgré un début d’ivresse qui commençait à monter. La tension dans son cou l’avait quitté, son rire sortait plus facilement, plus bêtement d’entre ses lèvres et il se permit même de glisser une main un court instant dans le dos de Mayes.

Hoyt, qui n’avait cessé de parler de ce mini bowling tout le long de la soirée, comme un gamin la veille de noël vint chercher Ollie lorsque ce dernier se libéra enfin. Et bêtement, oui bêtement il le suivit laissant la jeune femme seule à la table. Ce qu’il regretta rapidement. Mais avant de questionner ce choix, Hoyt eut le temps de lui fourrer entre les mains une double tequila sans glace. Une, deux, trois, ils l’avalèrent cul-sec dans les exclamations d’Hoyt, déjà trop alcoolisé pour réaliser que les choses allaient peut-être trop vite. Et soudain, alors que son meilleur ami tentait un strike (évidemment râté), Ollie tenta un regard vers la table et vit le petit corps de Mayes, entouré de deux grands gaillards. L’alcool le frappa de plein fouet et ne fit qu’augmenter sa colère, et sa propension à prendre de mauvaise décision. Ni une ni deux, il descendit un petit shooter qu’Hoyt avait commandé pendant qu’Ollie jouait son tour et se dirigea au pas de charge vers la table. Une fois près des garçons, il se râcla la gorge bruyamment. « Un problème messieurs ? » articula-t-il soudain très conscient de son taux d’alcoolémie élevé. Il dépassait l’un d’eux de bien vingt centimètres, mais son comparse qui devait faire sa taille avait des bras de la taille de sa cuisse. Mais Oliver ne recula pas devant la menace. « Je peux vous aider peut-être ? » Eructa-t-il d’une voix sourde. « Et toi l’abruti tu la touches pas. »

À l'instant où elle vit le sourire de Bram se figer, elle sut qu'elle allait se prendre une tarte pour son impertinence. Les hommes bourrés lui foutaient toujours des tartes. Peut-être qu'elle avait toujours cherché à ce qu'on lui foute des tartes, même. Merde. Aucune gifle n'arriva, cependant, et ce fut à la place la voix d'Ollie qui vint lui percuter les oreilles. « Un problème messieurs ? » Pendant cinq secondes, Mayes se dit que tout irait bien maintenant qu'il était là, que Bram et Norm s'en iraient comme ces gens-là s'en vont toujours quand il s'avère que leur proie est déjà chaperonnée par un mâle et qu'il revient ainsi à quelqu'un d'autre de jouer avec. Cette notion la débectait, pourtant elle ne parvint pas à s'en plaindre pendant ces cinq secondes de naïf soulagement. Et puis elle tourna la tête vers Ollie, et comprit en voyant son regard légèrement vitreux que tout n'irait pas bien maintenant qu'il était là. Car si elle savait que la première intervention d'Ollie aurait suffi à se débarrasser de Bram&Norm, elle savait aussi qu'aucun homme ivre froissé dans sa dignité par une fille esseulée appréciait de se faire également traiter d'abruti par un être que l'alcool tentait de rendre excessivement viril.
« Et toi l’abruti tu la touches pas », ordonna-t-il donc de sa voix un peu vacillante, et Mayes regarda Bram regarder Ollie, puis la regarder elle, puis reporter son regard sur Ollie, très calmement et sans se lever. Elle aurait sans doute dû bouger, reculer sa chaise, se lever, profiter de la diversion créée par Ollie pour éviter que les choses s'enveniment, mais le moment était passé et voilà que Bram tendait à nouveau la main vers elle sans lâcher Ollie du regard. Elle avait l'impression d'assister à la scène depuis un point de vue extérieur à son corps lorsqu'elle la sentit se poser une nouvelle fois sur son genou, cette main lourde, chaude et inconnue, et lorsqu'elle l'entendit, cette voix gorgée d'alcool : « Sinon quoi ? »

Comme au ralenti il observa l’autre abruti tendre la main vers Mayes, calmement et sans se lever, un regard de défi ancré sur son visage. Oliver pouvait sentir son pouls s’accélérer, ses poings se contracter si fort que les jointures de ses doigts se blanchirent. Il nota mentalement que la pauvre Mayes était bloquée entre le bestiaux et le mur et décida de prendre les choses en main, virilement, loin d’elle. Le « Sinon quoi ? » résonna entre eux, ne laissant à Ollie d’autre choix que de le choper par le col et de la balancer hors du tabouret. L’abruti en question parut sonné un instant par ce geste rapide (malgré un Oliver passablement éméché) et violent. Il savait que par cette conduite il venait d’entamer une suite inexorable de conséquences peu paisibles. Il était prêt.

Bram manqua tomber mais se rattrapa lourdement contre une table voisine. D’une voix sourde, Ollie l’enjoignit à sortir. Les deux hommes quittèrent le bar dans la précipitation et se retrouvèrent face à face. Oliver n’avait jamais été un violent. A vrai dire, étant donné l’éducation hippie et pacifique qu’il avait reçu, il ne s’était jamais réellement battu. Mais le voilà en pleine rue, prêt à en démordre, parce qu’on ne touchait pas à Mayella Milburn de la sorte, pas sans son consentement et de préférence pas quand il était là. Leur face à face dura une demie seconde avant qu’Oliver ne décide de faire le premier pas. Il lança un uppercut -du moins ce qu’il souhaitait être un uppercut- dans la mâchoire du blondinet avec force mais à peine son poing vint s’écraser sur le visage de son assaillant que la douleur irradia sa main. Oliver dans sa grande clarté ne s’était pas préparé à l’onde de douleur qui vint résonner dans sa main puis tout son bras. « Bordel. » Lâcha-t-il entre ses dents serrées alors qu’il vint se masser de sa main intacte son poing replié. Ni une ni deux, Bram, à peine chancelant, en profitant pour prendre d’assaut Oliver et lui offrit un joli bourre-pif qui sonna totalement le jeune homme. Des étoiles dansèrent devant ses yeux et il crut tomber. Mais Bram n’en avait pas fini. « T’as voulu joué au plus malin hein… » Un autre coup partit en direction de son estomac et Oliver crut vomir. Il se plia de douleur et perdit de vue ce qu’il était venu faire. Seule la sensation de son estomac brutalisé l’occupait. Un sale coup lancé dans son genoux faible eut le don de l’achever. Oliver tomba lourdement au sol, le souffle coupé. Il étouffa un cri, incapable de gérer la douleur qui retentissait maintenant dans tout son corps. Le temps de quelques secondes il ne vit que du noir et crut vomir ses tripes. La douleur était quasi intenable. Cela avait été une très très mauvaise idée de jouer au plus fort…

Tout se passa très vite et Mayes ne comprit pas tout de suite qu'Oliver venait réllement de se saisir de Bram dans un geste excessivement violent pour le traîner dehors. Elle avait à plusieurs reprises vu Oliver bourré, défait, ruiné, explosé, mais jamais elle ne l'avait vu violent. Son ventre se contracta désagréablement alors qu'elle se précipitait dehors à leur suite, Norm sur les talons et la silhouette de Hoyt se frayant également un chemin à travers la foule pour leur emboîter le pas. Ils arrivèrent juste à temps pour voir Ollie frapper – frapper, frapper – Bram, et si le geste ne lui avait pas glacé le sang, Mayella en aurait peut-être apprécié la beauté. Elle n'en apprécia toutefois pas la beauté et sentit la scène qui se déroulait sous ses yeux s'éloigner de plus en plus d'elle. Elle était spectatrice d'un carnage qui n'avait aucun sens. Oliver. Frapper. Quelqu'un. Insensé. Impossible. Effroyable.
Pas aussi effroyable, toutefois, que de le voir s'écrouler de douleur sur le sol.
Cette vision la propulsa deux ans en arrière, et elle sentit son estomac se retourner. Elle n'avait pas vu ce qui s'était passé alors, mais n'avait cessé de s'imaginer la scène, et elle ressemblait douloureusement à ce qui se déroulait actuellement sous ses yeux. Tout devint très blanc et silencieux autour d'elle. Elle ne vit pas Hoyt et Norm se joindre aux festivités, n'entendit plus rien de ce qui l'entourait, ne put que sentir un mélange de panique et de fureur lui monter à la gorge et propulser ses jambes en avant.
Quelques bouteilles en verre avaient été déposées contre le mur du bar, oubliées par des consommateurs fainéants ou déposées pour être recyclées, peut-être. Elle en saisit une par le goulot et, flottant au-dessus de toute l'agitation étrangement feutrée au coeur de laquelle elle se lançait, l'écrasa de toutes ses forces contre le crâne de Bram, qui lui tournait le dos et était trop occupé à s'en prendre à Oliver pour la voir arriver. L'impact produisit un bruit sourd, dodu et presque doux. Dans les films, les bouteilles que l'on abattait sur la tête des gens volaient en éclats sous un tonnerre d'exclamations diverses. Dans sa réalité, la bouteille resta intacte et le corps de Bram s'affaissa à son tour dans un silence étourdissant. Les mains tremblantes d'adrénaline et d'une peur panique, Mayella balança la bouteille sur le corps inerte qui s'étalait à ses pieds, à la fois pour faire bonne mesure et pour éloigner toute preuve de ce qu'elle venait de faire. Une seule et unique pensée se mit à tourbillonner dans sa tête. Le Dr Lynn Linwood allait la tuer.

La douleur irradiait dans tout son corps. Il sentait sa tête lui tourner et son estomac se contracter dans des spasmes douloureux. La nausée menaçait de le faire vomir tout moment. Mais Bram en avait décidé autrement et continuait de s’acharner contre lui malgré le fait qu’Oliver soit un homme à terre. Et soudainement, tout devint silencieux. La pluie de coups s’arrêta, le fracas de verre contre le bitume résonna un instant. Oliver se concentra sur ce qu’il venait de se passer et observa le corps inerte du grand costaud au sol, Mayella se tenant derrière lui, la mine défaite.

Oliver Prewett se hissa alors difficilement sur ses jambes et claudiqua jusqu’à elle. Dans un réflexe protecteur il la fit doucement reculer et attrapa son visage à deux mains. « Tout va bien ? » souffla-t-il, très inquiet. Il caressa ses cheveux, détailla son visage du regard afin de s’assurer que rien ne lui était arrivé. Elle tremblait, il pouvait le sentir sous ses doigts. Il la prit dans ses bras, tentant de cesser l’agitation de Mayella. Il la berça légèrement, une seconde ou deux avant de lui dire à l’oreille d’une voix fatiguée : « C’est fini, on y va ».

Hoyt qui dans son coin se marrait de la scène, mi- saoul mi-fier d’avoir mis chaos le coéquipier de Bram, lança un regard à Ollie plein de sous-entendus. Avant même qu’il n’ait eu le temps de dire quoique se soit, Hoyt lança « J’vous laisse, j’ai rencontré l’amour de ma vie à l’intérieur. » Et sans demander son reste, le jeune Milburn disparu aussitôt. Ollie héla un taxi alors qu’il pouvait difficilement poser la jambe gauche par terre. Sans même demander à Mayella son avis, il indiqua son adresse à quelques blocs d’où ils se trouvaient. Dans l’habitacle confortable de la voiture, il garda serré contre lui la jeune femme blême, ne cessant de lui caresser les cheveux ou d’embrasser son crâne. Son esprit embrumé et ivre était bien incapable de trouver les mots justes pour la rassénérer mais il espérait que ces quelques gestes auraient pour effet de l’apaiser.

Ils arrivèrent finalement à destination. Ollie sortit avec difficulté du taxi et lança à la rouquine restée dans l’habitacle : « Tu viens ? ». A vrai dire, la tonalité de la question ne lui laissait pas tellement le choix.

Pendant l'espace d'un instant, Mayella se demanda si ce n'était pas elle qui venait de tuer quelqu'un. Mais Bram émit un grognement de douleur, puis deux, et esquissa même un petit mouvement pathétique. Elle résista péniblement à l'envie d'écraser ces doigts qui se crispaient sur le bitume, ces doigts qui se contractaient comme pour saisir l'ampleur de la situation, se retrouva à les observer sans ciller, ces doigts, pendant de très, très longues secondes. Rien ne se passait dans sa tête. Rien. Absolument rien. Le silence absolu soufflait de toutes ses forces dans sa boîte crânienne. Ni le tambourinement de son coeur dans sa poitrine ni l'étrange sensation de légèreté ni même la sensation de vertige qui s'emparait d'elle ne parvinrent à l'extirper du calme assourdissant dans lequel sa tête s'était installée. Ce ne furent que les mains d'Oliver sur son visage et ses yeux bleus bleus bleus plongés dans les siens qui l'en extirpèrent, un peu. Et alors qu'il lui demandait si tout allait bien, elle cligna des yeux, hébétée, et fronça les sourcils. Bien sûr que tout allait bien. Tout allait parfaitement bien. Comment diable avait-il fait pour se relever aussi vite ? Il saignait du nez. Il boitait, aussi. Pourquoi, déjà ? Est-ce que tout allait bien ?
Elle était persuadée d'avoir dit tout ça à voix haute, mais il ne lui répondit pas, préféra l'étreindre, et elle ne s'en plaignait pas, vraiment, mais cela devait sans doute dire que tout n'allait pas aussi bien pour lui que pour elle. Bon. Des choses se passaient autour d'elle, quelques mots transperçaient ici et là la quiétude de son cerveau, Hoyt s'en allait, et c'était tellement typique de Hoyt qu'elle en esquissa un sourire attendri et un peu dérangé. On la traînait dans un taxi, on lui parlait, la cajolait, et elle répondait, elle était sûre de répondre, elle regardait Ollie droit dans les yeux en lui disant très distinctement que tout allait très bien. Peut-être que c'était dans sa tête. Dans sa tête pas si vide.
Car alors qu'elle regardait Ollie s'extirper difficilement de la voiture, des pensées sordides affluèrent peu à peu dans l'espace désolé qu'était son esprit. Oliver, ensanglanté, une rotule délabrée, les veines gorgées d'alcool.
Oliver, ensanglanté, une rotule délabrée, les veines gorgées d'alcool, qui avait passé les dix dernières minutes à s'occuper d'elle. Alors que cela aurait dû être l'inverse. Elle sortit de la voiture et de sa léthargie en trébuchant, se saisit un peu brusquement et sans chercher à cacher son agitation la main d'Oliver qui avait le malheur de traîner à sa portée, et elle le tira vers elle, posa sa main libre sur sa joue constellée de sang, et bafouilla, trop précipitamment, comme si manger la moitié de ses mots allait pouvoir rattraper leur retard : « Ça va, Ollie ? Tu as mal ? » Elle n'avait aucune idée d'où elle se trouvait, aussi détacha-t-elle brièvement son regard du sien pour jeter un coup d'oeil alentour, comprenant sans comprendre qu'ils étaient devant chez Ollie – enfin, c'est ce qu'elle supposait, elle n'avait pas encore eu le privilège d'y être conviée.

Ollie, trop éméché pour observer la paralysie de la jeune femme, tentait d’avancer tant bien que mal dans la rue lorsqu’il se retourna pour l’encourager à le rejoindre. Il la vit trébucher jusqu’à lui, toujours tremblante, son corps frêle incapable de contrôler l’agitation qui l’animait. Elle se saisit soudainement de sa main ce qui le surprit une demie seconde, juste le temps de se dire que c’était la première fois qu’elle faisait le premier geste, et particulièrement ce soir, et l’attira à elle dans un geste un peu brusque. Oliver laissa leurs deux corps entrer en contact sans broncher. La main de Mayella vint se poser sur sa joue dans un geste tendre. « Ça va, Ollie ? Tu as mal ? » Il enfouit légèrement sa joue dans la main de la jeune fille, se perdant dans ce contact un instant, paupières closes. « Ne t’en fais pas pour moi… » Souffla-t-il, glissant sa main autour de la taille de la jeune femme pour la garder contre lui. Ils restèrent ainsi quelques secondes avant que l’immobilité et sa douleur dans le genou le rappelle à l’ordre. Alors doucement, il pressa la main de la jeune femme et l’invita à rentrer.

Le loft était plongé dans le noir et Oliver ne lâcha pas la main de Mayes la guidant dans la pénombre jusqu’à la pièce à vivre, seule pièce un tantinet meublée. Il claudiqua jusqu’au canapé et s’assit sur le dossier, faisant face à Mayes. D’un geste doux, il l’incita à s’approcher et à se positionner, tout proche de lui, entre ses jambes légèrement écartées. Il entoura ses bras autour de sa taille et souffla « Mayella, Mayella, Mayella… » comme si ce prénom était un trésor dont lui seul connaissait l’existence. Il avait envie qu’elle lui touche à nouveau le visage, qu’elle lui prenne la main, tout pourvu qu’il y ait un contact. Alors Oliver lui lançait un regard empreint de douceur et de désir, à essayer d’être charmant à outrance pour avoir un peu de son attention. Mais Mayella, dès qu’elle regardait son visage, semblait blêmir un peu plus. « Mayella Milburn, tu es la plus beeeelle femme au monde. » Dit-il pour la distraire (et parce qu’il le pensait sincèrement) de sa voix traînante.

« Ne t’en fais pas pour moi… » qu'il lui dit, le bougre. Elle aurait insisté, sans doute, s'il ne l'avait pas une nouvelle fois attirée à lui, et que faire dans ce cas-là sinon se laisser envahir par la douce chaleur de son corps contre le sien ? Elle était vaguement fascinée par le fait qu'il n'ait l'air aucunement ébranlé par ce qui venait de se passer, qu'il ne cherchait rien d'autre qu'un contact constant avec elle, et elle s'interdit de penser que ce devrait être Rosie à sa place à ce moment-là, préféra se souvenir avec une certaine mélancolie qu'Ollie était un buveur pot de colle. Elle savait que l'atterrissage serait douloureux, qu'il y aurait bientôt maux de crâne, retours à la réalité et espoirs brisés, pourtant il ne fut pas question une seule seconde de s'écarter du contact qui lui était concédé.
Elle le suivit sans mot dire, la tête toujours un peu trop vide et l'appréhension au bord des lèvres sans trop savoir pourquoi. Il n'alluma pas la lumière en rentrant et elle y lut un mauvais signe. Il n'avait pas tellement envie qu'elle se creuse à nouveau une place dans son espace. Ce n'était pas grave, elle pouvait comprendre. Peut-être aurait-elle dû boire plus de verres ou frapper plus de monde histoire d'empêcher à son cerveau de penser à tout ça. Il la guida jusqu'au canapé, et elle le suivit à tâtons dans l'obscurité, jusqu'à venir se nicher entre les jambes d'Ollie qui s'était perché sur le dossier. Qu'est-ce qu'elle foutait. Il babillait et elle tenta de toutes ses forces de ne pas sourire, jusqu'à ce que, avec un aplomb qui la désarçonna, il lui lâche : « Mayella Milburn, tu es la plus beeeelle femme au monde. »
Et elle s'esclaffa alors, de surprise certes, mais aussi de contentement, de ravissement, et de quelque chose qui ressemblait étrangement à du soulagement. Sa main vint survoler la jambe d'Oliver, hésitant quelques secondes pour finalement s'y poser, et pressa brièvement le tissu de son pantalon avant de se reprendre. « Oliver Prewett, tu seras le plus beeeel homme au monde une fois que tu seras rafistolé. » Elle déposa un bref baiser sur une de ses joues et se détacha de lui en ordonnant d'une voix sans appel : « Bouge pas. » Et sans attendre de voir s'il obéissait – il avait intérêt à obéir – elle partit à la recherche d'une trousse de premiers secours. Elle en trouva des vestiges dans ce qu'elle estima être la salle de bains, en extirpa du désinfectant périmé depuis deux mois, un sachet de compresses ouvert, des pansements à motifs de dinosaures – ??? – et quelques antalgiques. Son butin sous le bras, elle gagna la cuisine, qu'elle finit par trouver après avoir été contrainte d'allumer au hasard plusieurs sources de lumière. Elle dénicha dans le congélateur un paquet de petits pois surgelés et remplit d'eau le plus grand verre qu'elle trouva. Elle revint vers Ollie, presque impressionnée de voir qu'il n'avait apparemment pas bougé, et lui tendit le verre. « J'ai besoin que tu boives ça », lui annonça-t-elle en lui tendant le verre, puis deux comprimés, « que tu mettes ça sur ton genou », poursuivit-elle en lui montrant le sachet surgelé, « et que tu ne bouges pas », acheva-t-elle en sachant qu'elle en demandait trop, qu'elle était décidément optimiste, et qu'elle pourrait déjà s'estimer heureuse s'il ne lui renversait pas le verre dessus. Sans vraiment attendre de réponse, elle déposa le reste de son arsenal sur le dossier à côté d'Oliver, et s'attaqua à l'éraflure qui ornait sa joue.

Le bruit de surprise qui s’échappa des lèvres de Mayella fut délicieux à ses oreilles. Elle semblait l’enregistrer, le prendre et compte et Ollie ne put qu’être content de lui. La main de Mayella vint alors effleurer sa jambe et se poser sur sa cuisse, doucement, dans un geste timide mais familier. Oliver lui offrit un sourire d’encouragement. « Oliver Prewett, tu seras le plus beeeel homme au monde une fois que tu seras rafistolé. » Son cœur se propulsa un peu plus fort contre sa poitrine et un rire niais lui échappa. « J’ai plus l’air d’un dur à cuir comme ça … » souffla Oliver, amusé par sa propre remarque. Il l’observa alors se pencher vers lui et pendant un court instant, il crut qu’elle allait l’embrasser. Effectivement Mayella Milburn déposa un baiser, mais sur sa joue, bref et délicat. Elle se détacha alors de lui et lui ordonna de ne pas bouger, ce qu’Oliver refusa presque pour la suivre mais se retint, pour le plus grand bonheur de son genou.

Elle partit trop longtemps à son goût mais revint avec les bras chargés. Une fois de plus, elle lui indiqua ce qu’il devait faire, mais le fit avec douceur. Oliver s’y plia. Il but le verre qu’elle lui tendit, pris les comprimés, et posa le sachet de surgelé sur la rotule douloureuse. De son côté, Mayella se pencha sur son visage, son kit de petite infirmière entre ses mains fines. Elle lui nettoya le visage à l’aide de compresse, son visage soucieux penché sur lui. Il posa le verre vide et de sa main libre vint caresser la petite ride marque entre ses sourcils qui marquait son tourment. « Détends toi Mayes, tout va bien… » souffla-t-il, conscient de leur nouvelle proximité. Il sentait ses doigts courir sur son visage, nettoyer une à une les plaies, enlever le sang, panser ses petites blessures. Dans un geste impulsif mais tendre, Oliver enveloppa sa taille de ses deux bras pour enfouir son visage dans le ventre de la jeune femme. Il inspira profondément avant d’y murmurer : « Tu m’as manqué, tu m’as tellement manqué. » Et il conclut en y déposant un baiser.

Mayes se concentrait sur chacun de ses gestes, les effectuait avec une minutie qui dissimulait difficilement le fait qu'ils servaient surtout à l'empêcher de penser. Elle ne voulait surtout pas penser. Ni au contact déplaisant de Bram qu'elle sentait encore un peu partout sur son corps, ni au retour en force de la violence que lui avait si généreusement léguée son père, ni à Oliver ivre, tendre et amoché sous ses mains, qui était trop et qu'elle laissait être trop. Et elle voulait encore moins penser à ce qui se passerait plus tard, bien plus tard, quand il aurait repris ses esprits et qu'elle aurait trop profité et que tout ferait mal.
Alors elle ne pensa pas. Elle imbiba une compresse de désinfectant, l'appliqua sur chaque plaie qu'elle trouva, insista sur celle qui ornait sa joue droite, profita de l'humidité du linge pour nettoyer le sang qui avait séché autour de son nez. Elle s'appliqua plus longtemps que nécessaire, et était loin d'en avoir fini lorsqu'elle sentit des doigts dessiner le sillon de tracas qu'elle savait confortablement ancré au-dessus de son nez. « Détends toi Mayes, tout va bien… » Elle détacha son regard des contusions sur lesquelles elle s'acharnait, ne réalisant qu'à ce moment-là qu'elle n'avait pas une seule fois croisé celui d'Ollie depuis qu'elle avait décidé de s'improviser infirmière. Elle ne dit rien, car il venait de briser la toute petite routine dans laquelle elle s'était réfugiée, et tout ce à quoi elle ne voulait pas penser se faufilait dans la brèche de son esprit. Elle ne dit rien, car elle ne pouvait pas lui dire que rien n'allait sans que tout foute le camp, et il était hors de question de laisser quoi que ce soit foutre le camp. Elle se contenta de desserrer la mâchoire, doucement, en s'y reprenant plusieurs fois avant de sentir les traits de son visage se détendre. Elle reprit alors ses mêmes gestes répétitifs et étrangement apaisants, toujours sans mot dire. Jusqu'à ce qu'il l'interrompe à nouveau, en l'enserrant de ses bras et en déposant son visage contre son ventre dans un geste d'une douceur telle qu'elle en eut le souffle coupé. « Tu m’as manqué, tu m’as tellement manqué. » Ils ne faisaient que se dire ça. Tout le temps, tout le temps, tout le temps. Ils se le répétaient, presque inlassablement à chaque fois qu'ils se voyaient, et ça ne suffisait jamais. Ça ne changeait rien.
Elle sentit sa gorge se serrer douloureusement, de désagréables picotements gonfler ses yeux, et elle se dit que c'était peut-être le moment où elle allait finalement laisser tout foutre le camp. Presque instinctivement, elle posa une main dans la nuque d'Ollie, l'autre sur son crâne, et pressa doucement pour qu'il enfouisse davantage son visage contre elle. Elle sentit le paquet de petits pois glisser et s'écraser à ses pieds, mais à part ça, rien ne se décida à foutre le camp, aucune larme ne dévala aucune joue, et aucun mot ne sortit de sa bouche. Elle le maintint – un peu de force, peut-être – contre elle pendant quelques longues secondes avant de reculer d'un petit pas tout en l'incitant à lever à nouveau le visage vers elle pour qu'elle poursuive sa besogne et puisse continuer à faire comme si de rien n'était. Sans plus croiser son regard, elle dégaina un pansement jaune à diplodocus bleus et tricératops roses qu'elle déposa sur la plaie de sa joue droite. Et dans une belle imitation de Marion Ravenwood dans Raiders of the Lost Ark, elle se pencha en avant et déposa un baiser sur le pansement, avant de murmurer contre son oreille : « Le plus bel homme au monde peut maintenant aller se coucher. »

Oliver avait enfoui son visage dans le ventre de Mayella et ne comptait pas en sortir de sitôt. Notamment parce qu’il sentit les mains de la jeune femme l’encourager doucement à y rester. Son cœur se gonfla de contentement et l’émotion le saisit à la gorge. Il l’avait retrouvé, elle était là, face à lui. Et c’était tout ce qu’il avait toujours voulu. La retrouver. Alors il inspira son odeur, s’en imprégna, enregistra les notes familières, les yeux clos, hyperconscient de ces doigts pressés sur sa nuque, sur son crâne rasé. Et si ce moment dura de longues secondes, Mayella vint y mettre fin un peu trop rapidement à son goût. Oliver ravala un léger grognement, alors qu’elle s’éloignait de lui, l’incitant à le regarder. D’un geste dextre elle lui plaça un pansement sur la joue, et tout en se penchant pour lui déposer un baiser, elle lui susurra : « Le plus bel homme au monde peut maintenant aller se coucher. » Son pouls s’accéléra légèrement et un sourire s’épanouit sur son visage. Il se leva doucement, pour ne pas l’effrayer et d’une main attentionnée vint se saisir encore plus doucement de celle de Mayella, centimètres après centimètres comme il l’avait fait par le passé. Et avec précaution, il commença à s’avancer à travers le salon, sans jamais la presser, lui laissant le temps de refuser, de faire demi-tour. Ils arrivèrent dans la chambre. C’était l’une des plus petites pièces du loft, ce qui lui donnait une atmosphère cosy, confortable, comme un refuge. Il alluma la lumière -une grosse ampoule design suspendue à la lumière tamisée- et se plaça finalement face à la jeune femme. Il lui sourit timidement, ne sut comment expliquer qu’il l’invitait dans son lit mais sans sous-entendus. Qu’il n’attendait rien d’elle excepté qu’elle soit là. Alors péniblement, il se râcla la gorge et d’une voix innocente il murmura : « Tu peux dormir ici si tu veux. » Il lâcha alors doucement sa main pour aller lui chercher un survêtement et un tshirt dans lesquels elle pourrait se sentir à l’aise. Toujours aussi timidement, il lui tendit. Il sortit aussi un troisième oreiller du placard qu’il jeta sur le lit. Et finalement, après avoir cherché en vain quelque chose pour l’occuper, il s’assit au bord du lit, les mains posées sur le matelas, le regard essayant de capter celui de Mayes. « Tu peux dormir avec moi s’il te plait Mayes ? » Balbutia pour finir Oliver d’une toute petite voix.

Elle n'avait pas réfléchi avant de parler – c'était le thème de la soirée, après tout, ne pas penser – et ne se rendit compte que trop tard de ce que ses mots pouvaient suggérer, et grand Dieu, non. Enfin, si, mais non. Sauf qu'il sembla se saisir de la suggestion en même temps qu'il se saisit de sa main, et elle se retrouva incapable de rétropédaler, parce qu'il était tellement doux et qu'elle avait envie – besoin, même – de le sentir contre elle, mais Mayella Milburn n'était pas une briseuse de ménage. Mayella Milburn refusait d'être une briseuse de ménage. Elle avait eu sa chance, l'avait laissée filer, et devait désormais accepter que les jeux étaient faits. Qu'il était trop tard et qu'elle se laissait aller à de malsaines illusions dont elle alalit devoir se défaire très vite. Elle le suivit toutefois jusqu'à sa chambre, car elle n'avait pas vraiment pensé jusqu'alors à ce qui se passerait une fois qu'Oliver n'aurait plus besoin de ses services, et maintenant que la perspective de rentrer seule chez Hoyt à cette heure avancée de la nuit se profilait à l'horizon, elle espérait pouvoir abuser de l'hospitalité du jeune homme et se nicher au creux de son canapé pour la nuit – les canapés et elle, une véritable histoire d'amour, à ce stade de son existence. Elle partirait vite le lendemain matin, avant que la gueule de bois d'Ollie ne fasse effet et que ses yeux s'ouvrent sur la vision d'une Mayella qui n'avait rien à faire ici.
« Tu peux dormir ici si tu veux », lui proposa-t-il et elle lui adressa un sourire soulagé en hochant timidement la tête – tout devenait très timide tout à coup. Elle prit les vêtements qu'il lui tendit, en tripota le tissu sans trop savoir quoi en faire dans l'immédiat, observa Ollie s'agiter en sentant progressivement son coeur se contracter douloureusement dans sa poitrine. Et puis il s'assit sur le lit et lança la requête qu'elle redoutait et espérait à la fois. « Tu peux dormir avec moi s’il te plait Mayes ? »
En toute honnêteté, elle faillit dire oui, comme ça, sans réfléchir comme toujours. Mais les choses devenaient trop risquées pour qu'elle puisse se permettre de mettre son cerveau en pause plus longtemps. Elle vint s'asseoir à côté de lui, posa une main sur celle d'Ollie, et poussa un petit soupir avant de parler. « Ollie... Oliver, je vais devoir être sage pour deux aujourd'hui, parce que tu as trop bu pour être sage et je refuse que tu aies des regrets une fois ce joli crâne reposé. » Elle passa une main timide dans ces cheveux trop courts, dont la sensation lui faisait un truc bizarre dans le ventre, massa un bref instant la base de son crâne, et retira ses doigts dans un geste un peu dépité. « Je suis désolée Oliver, mais je ne peux pas dormir avec toi. » Elle préféra ne pas attendre de voir la réaction d'Ollie, car elle savait que toute sa détermination s'évaporerait en un instant. Elle se leva alors, se plaça face à lui, déposa un bref baiser sur le sommet de son crâne en marmonnant « toi aussi tu m'as manqué », et, son pyjama de fortune sous le bras, elle s'enfuit rejoindre son compagnon pour la nuit, en priant pour qu'il soit plus confortable que le canapé de Hoyt.

Il avait senti alors que les mots quittaient sa bouche qu’il n’aurait jamais dû lui demander. Non pas parce que c’était déraisonnable, ou qu’il n’en avait pas envie, mais parce que maintenant que c’était sorti, il sentait le refus arriver très vite, très fort. Sans doute trop vite et trop fort. Mayella vint s’asseoir à ses côtés et Oliver s’appliqua à ne pas bouger d’un iota. Il sut à ce moment qu’elle lui dirait non mais d’une manière assez douce pour ne pas le vexer. Son cœur se serra à cette pensée et l’appréhension de son rejet lui serra la gorge. Elle posa sa main sur la sienne dans un geste qui se voulait réconfortant et lui dit d’une voix douce, si douce qu’elle aurait pu désamorcer la pire nouvelle de l’univers. « Ollie... Oliver, je vais devoir être sage pour deux aujourd'hui, parce que tu as trop bu pour être sage et je refuse que tu aies des regrets une fois ce joli crâne reposé. » Il sentit sa main lui caresser le crâne et il ferma les yeux, se concentrant sur la sensation de ses doigts dans ses cheveux. La frustration le gagnait et il avait tellement de chose à lui dire, mais ses lèvres restèrent closes « Je suis désolée Oliver, mais je ne peux pas dormir avec toi. » Il hocha la tête en désespoir de cause et l’observa le quitter après avoir déposé un baiser sur son crâne. Assez fort pour qu’elle entende il marmonna « Je suis reposé… Et je ne regretterai pas. » Oliver resta un instant assis, espérant la voir revenir, le rejoindre. Mais personne n’arriva. Un poids tomba sur son cœur alors qu’il fixait impassible la porte. Il se décida finalement, de se lever et de se coucher. Même seul. Il profita qu’elle se soit éclipsée pour retirer son pantalon, enfiler un tshirt de pyjama et se glisser sous la couette, l’esprit encore embrumé de vapeur d’alcool. La nuit allait être longue…

Un peu déconfite mais la tête haute, Mayes regagna le canapé, sur lequel elle s'assit une petite minute avant de se souvenir que tout était un peu en bordel autour d'elle. Elle se changea rapidement, laissa ses vêtements en boule sur le sol, ramassa verre vide, emballages de pansements, compresses souillées et petits pois à moitié décongelés, déposa le tout sur la première surface plane qu'elle trouva, et se dégota un plaid défraichi dans lequel elle s'enveloppa avant de s'affaler sur le canapé et après avoir éteint la lumière. Et puis elle attendit. Et puis elle se mit à penser.
Oliver Prewett, qui avait occupé son esprit jour et nuit pendant deux ans, dont le souvenir avait fait palpiter son coeur dans les moments les plus sordides de son isolement et animé ses doigts dans ceux de solitude à la chasteté toute relative, était là, à quelques mètres à peine d'elle, derrière une simple cloison et quelques épaisses couches d'alcool. Oliver Prewett, qui avait littéralement abandonné tous ses principes pacifiques pour venir à sa rescousse – bien que l'initiative fût certes foireuse. Oliver Prewett, qui avait passé la soirée à se blottir contre elle plutôt qu'à lancer des appels téléphoniques exaltés à sa copine. Oliver Prewett, qu'elle venait de laisser en plan pour être sage. Sauf que Mayella Milburn n'avait jamais été sage. Oh non. Elle savait ce qui allait suivre.
Elle résista pendant exactement dix-sept minutes – enfin, « exactement » d'après son cerveau, qui comptait les secondes comme il le pouvait pour ne pas s'embourber davantage dans des pensées qui auraient vite fait de les réduire à néant, ces dix-sept minutes – avant de se débarrasser de sa couverture de fortune et de ses principes. D'un pas rendu incertain par l'obscurité et les scrupules, elle se fraya un chemin jusqu'à la chambre qu'elle venait de quitter. Aussi silencieusement que possible, sans prononcer un seul mot – presque par fierté, pour le coup – elle se dirigea vers le lit, non sans se cogner un orteil au passage. Il lui semblait distinguer la forme d'Oliver d'un côté, alors elle se glissa de l'autre côté, s'allongea sous la couverture, tout au bord du matelas.

Oliver attendit que le sommeil arrive, yeux grands ouverts, dans l’obscurité de sa chambre. Son cerveau ne pouvait se détacher de l’idée que Mayella Milburn se trouvait à quelques mètres de lui, uniquement séparé par un mur. Il pensa une dizaine de fois à se lever et la rejoindre, ou traverser le salon pour lui signifier qu’il était là, qu’elle pouvait toujours changer d’avis. Mais Oliver avait décidé d’être sage, a contrario de ce que Mayella Milburn avait suggéré. Il resta donc immobile, dans le noir, yeux grand ouvert à attendre. Jusqu’à ce que des tous petits pas, presque inaudibles, se firent entendre dans la chambre puis dans le couloir. Oliver prit grand soin à ne pas bouger, pas d’un millimètre, même pas un cil. La respiration bloquée, le regard fixé sur un point distant face à lui il écouta. Il écouta Mayella se prendre un meuble dans l’orteil et continuer avec difficulté son chemin jusqu’au lit. Il écouta Mayella s’allonger dans le lit et se faufiler sous la couette, doucement, tout doucement sans faire de bruit puis ne plus bouger. Instinctivement, Oliver attendit quelques longues secondes –trop longues à son goût- avant de tenter le moindre mouvement. Et puis doucement, il se retourna, prit son temps pour repérer le corps de la jeune femme dans l’obscurité et se déplacer jusqu’à elle. Il vint se positionner contre son dos, sans être pressant, avec délicatesse. Il laissa consciemment quelques tout petit centimètre entre eux avant de déposer son bras autour de sa taille. Et parce qu’il était trop heureux qu’elle soit là, enfin, impulsivement il planta un baiser dans son cou. Non pas un baiser sensuel, ni même charnel, juste un baiser qui disait « Je suis heureux que tu sois là », parce que c’était le cas. Oliver enfouit son visage dans la nuque de la jeune femme, caressant du bout de son nez la peau fine de la base de son dos, avant de lui souffler « Bonne nuit. » et de s’installer plus confortablement contre elle.

Et Mayes cessa de respirer pendant de très, très longues secondes. Elle resta immobile, les doigts cramponnés à la couette, les yeux obstinément fermés pour ne pas avoir à faire face aux conséquences de son impulsivité. Tout était trop silencieux. Elle n'arrivait même pas à savoir s'il était endormi. Elle priait pour qu'il soit endormi. Comme ça elle pourrait, au réveil, invoquer l'excuse du somnambulisme s'il s'étonnait de sa présence là, dans ces draps qui sentaient Ollie et qu'elle ne voulait plus jamais quitter. Il devenait urgent pour elle de respirer à nouveau, et elle était sur le point de le faire lorsqu'elle entendit Oliver bouger, et son corps se crispa à nouveau de toutes ses forces. Elle le sentit s'approcher, sut avec certitude qu'il ne dormait pas, et laissa échapper un soupir de soulagement et de contentement lorsqu'un bras entoura sa taille. L'alcool faisait parfois de belles choses, reconnut-elle lorsqu'elle sentit les lèvres d'Ollie contre sa peau, puis le bout de son nez, et un frisson dévala son dos. Elle recula de quelques centimètres pour se retrouver intégralement collée contre le corps d'Ollie, et se saisit de sa main – celle qu'il avait endommagée dans sa prouesse chevaleresque – pour la porter à ses lèvres et l'embrasser à son tour. « Bonne nuit », murmura-t-elle, elle aussi, tout en étant convaincue qu'elle ne fermerait pas l'oeil de la nuit.

Lorsqu'elle émergea, elle fut contrainte d'admettre qu'elle avait visiblement dû fermer non pas un oeil, mais les deux yeux, et pas qu'un peu. Il lui fallut quelques longues secondes avant de tout remettre en place, car plus rien n'était vraiment à sa place. Ollie était toujours là, elle en était à peu près convaincue, car elle avait dans son sommeil tourné sur elle-même et lui faisait désormais plus ou moins face, et un de ses pieds avait eu l'audace de venir s'emmêler à ceux du jeune homme. À part ça, toutefois, elle ne saisissait pas grand chose de ce qui l'entourait, sinon qu'elle était empêtrée dans un noeud de t-shirt trop grand, pantalon encore plus grand, et couette immensément trop grande. Elle renonça cependant à toute tentative de s'en défaire complètement une fois le visage découvert et son regard planté dans les yeux bleus qui la fixaient.

Leurs deux corps étaient emmêlés comme par le passé, un bras nonchalamment posé autour sa taille, empêtrés dans couette. Il eut du mal à émerger et son crâne le faisait horriblement souffrir. Mais Oliver n’avait pas oublié sa proposition ni même qu’elle l’avait rejoint. Alors le jeune Prewett s’obstina à rester immobile pour ne pas la réveiller, appréciant chaque instant que le sommeil lourd de Mayes lui offrit. Il resserra tout doucement son étreinte autour d’elle et ferma un peu les yeux sans se rendormir pour autant. Il ne savait pas où tout ça les mènerait, mais ce dont il était sûr est qu’il se sentait enfin serein, chose qui n’était pas arrivée depuis près de deux ans. Il avait un instant cru, entre sommeil et réveil qu’elle s’était enfuit, repartie chez Hoyt ou ailleurs, partie pour de bon. Parce que pendant des semaines, il avait été persuadé de l’avoir fait fuir. Mais ce matin, Mayella Milburn était bien là, entre ses bras, endormie et paisible.

Après de longues minutes les yeux clos, à se rejouer la veille et endurer courageusement ses maux de crâne, il rouvrit enfin les yeux, persuadé qu’elle allait se réveiller. Et cela ne manqua pas : Mayella Milburn ouvrit difficilement les yeux, incapable pendant quelques secondes de saisir toute la situation et Ollie put le lire sur son visage. Quand soudain elle l’aperçut, il nota son désarroi, alors pour détendre la situation il marmonna un « Salut. » et lui offrit un sourire timide. La main autour sa taille vint caresser la peau découverte de son dos et l’envie irrépressible de l’embrasser lui piqua les lèvres. Il s’abstint cependant et souffla : « Bien dormi ? »

Si tout son corps était douloureux et particulièrement son genou, il aimait l’idée d’être allongé contre Mayella Milburn toute la journée. Alors Oliver ne dit rien et tenta de faire durer ce moment le plus longtemps possible, ses doigts caressant toujours la peau qui s’offrait à lui et un léger sourire flottant sur son visage.

Mayes cligna des yeux pour en chasser le sommeil, mais n'en fut pas moins déphasée. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit déjà réveillé, avait très brièvement nourri l'illusion qu'elle aurait le temps de s'extirper d'entre ses bras avant qu'il puisse prendre pleinement conscience de sa présence, mais ses espoirs tombaient à l'eau sous le regard scrutateur d'Oliver et elle sut qu'il allait lui faire remarquer qu'elle n'était pas censée se trouver là. Qu'elle avait voulu être sage, qu'elle avait fait un choix et qu'il lui incombait désormais de s'y tenir. Qu'elle n'avait pas forcément été tendre avec lui, et qu'il arrivait un moment où on ne pouvait pas tout avoir, où on ne pouvait pas constamment changer d'avis juste parce qu'on en avait envie, qu'on ne pouvait pas partir et revenir comme si de rien n'était, que les gens et leurs lits n'étaient pas à sa disposition. Comme souvent ces derniers temps cependant, Mayella Milburn se trompait visiblement, car elle sentit des doigts lui caresser le dos et vit un sourire éclore sur le visage d'Ollie. Alors elle se détendit et esquissa à son tour un léger sourire. « Bien dormi ? » lui demanda-t-il d'une voix un peu rauque, et était-il possible d'être amoureuse d'une voix ? Et du corps qui allait avec, aussi mal en point fût-il ? Car il avait clairement une sale mine, de ce qu'elle en voyait, mais son pansement ridicule n'avait pas bougé d'un millimètre et elle sentit son sourire s'élargir. Il lui fallut quelques secondes de lutte mais elle parvint finalement à libérer sa main de la couette et la déposa sur sa joue, dessinant du bout du pouce les contours du pansement pour caresser la peau qui le bordait. « Bien dormi, » articula-t-elle finalement. « Et toi, Rocky ? Comment tu te sens ? »

Il y avait quelque chose de doucement familier dans ce qu'ils vivaient à cet instant. Mayella blottit contre lui, un samedi matin paisible, alors qu'il avait une fois de plus trop bu avec son frère. Et pourtant, pourtant rien n'était plus ainsi depuis un certain temps. Mais Oliver se concentra sur les deux grands yeux de Mayella qui le regardaient, luttant contre ses paupières alourdies par le sommeil, par ce sourire qui naissait doucement sur son visage constellé de tâches de rousseur, sur son corps détendu tout contre lui. Mayella finit par sortir sa main de sous les draps pour venir la poser délicatement sur le visage d'Oliver. Son sourire s'étendit à la sensation de ses doigts sur son visage. Il ferma un instant les yeux, profitant de la tendresse qu'elle lui offrait. Ses doigts jouaient sur sa joue, caressant le contour du pansement. « Bien dormi, » articula-t-elle finalement. « Et toi, Rocky ? Comment tu te sens ? » Il lâcha un petit rire, amusé par sa remarque. Il se sentait tellement heureux qu'il ne sut quoi dire exactement. Tout semblait fade en comparaison aux sensations qui résonnaient dans son corps. Son cœur battait à tout rompre, des papillons s'agitaient dans son bas ventre, il sentait sa peau comme électrifiée, son corps tendu vers celui de Mayella. Alors dans un geste absolument irréfléchi et clairement déraisonnable, Oliver Prewett inclina son visage vers celui de la jeune femme pour déposer un baiser furtif sur ses lèvres. « Ça va, malgré un corps un peu… endolori. » Dit-il d’une voix rauque et rieuse. Il attendit une réaction, le cœur au bord des lèvres, maintenant pleinement conscient du risque qu’il venait de prendre.

Et il l'embrassa. Comme ça, sans réfléchir, visiblement. Et sans s'appliquer, surtout. Dans l'absolu, elle n'avait pas le droit d'être déçue. Elle pouvait déjà s'estimer heureuse qu'il ait approché sa bouche de la sienne. Mais ça faisait deux ans qu'il ne l'avait pas embrassée, deux ans que personne ne l'avait embrassée. Et elle n'eut droit qu'au genre de baiser matinal et baclé qu'il devait distribuer quotidiennement à Rosie. Le genre vite expédié, vite oublié. Deux ans pour ça. Alors oui, elle fut déçue, et un peu en colère, aussi. Elle avait attendu ce moment, l'avait préparé, imaginé, visualisé dans sa tête pendant des jours et des jours. Mais pas lui. Lui, il venait de rendre ça anodin. Et elle, elle était en train d'en faire toute une affaire. Son corps n'avait même pas eu le temps de ressentir quoi que ce soit sinon la surprise de la brièveté du geste. Elle n'avait pas eu le temps de retrouver quoi que ce soit de familier, ou de différent, d'agréable, ou d'électrisant, dans ce geste qu'elle attendait tant. Juste un courant d'air sur ses lèvres et une phrase balancée comme si de rien n'était.
Elle le fixa quelques secondes, abasourdie, se demandant si elle avait peut-être rêvé – espérant qu'elle avait peut-être rêvé – mais non, elle n'avait pas rêvé. Alors elle se raccrocha comme elle le put à la première occasion qui lui était présentée de sortir de ce lit pour vite passer à autre chose. « Je vais te chercher des médicaments », s'exclama-t-elle en se libérant pour de bon des draps. Elle bondit hors du lit, hors de la chambre, et hors de la vue d'Oliver, surtout.

Il sut au moment même où il observa sa réaction qu’il avait merdé. Il ne sut exactement la raison de son erreur, si elle venait du baiser ou de son haleine mais la réalité était la suivante : Mayella Milburn n’avait clairement pas apprécié le geste d’Oliver. Il blêmit un instant, regardant la jeune femme outrée dissimuler son visage de la vue d’Oliver, puis le fuir très franchement, s’extirpant de l’étreinte avec virulence. « Je vais te chercher des médicaments » Il resta quelques secondes bouche bé, incapable de lui répondre ni même de bouger. Son cerveau embrumé des effluves de l’alcool de la veille ne parvenait pas à procéder calmement et logiquement, ce qui poussa Oliver à agir plutôt que réfléchir. Il se leva avec peine du lit pour la suivre dans sa course. Claudiquant toujours, il parvint à la rattraper in extremis et lui saisir le bras. « Pas si vite mademoiselle. » Dans un geste rapide, il enroula son bras autour de la taille de la jeune fille et vint la coller à lui. De sa main libre, il souleva doucement un pan de mèche qui lui cachait le visage. Doucement alors, tout doucement, son visage s’inclina et vint déposer un baiser sur sa joue, puis un deuxième, et un troisième, se rapprochant au fur et à mesure de ses embrassades de ses lèvres. « Mayes, j’ai envie de t’embrasser... » souffla-t-il, sans dérober son regard de celui de la jeune femme. « Pour de vrai cette fois. » Il attendait son approbation et il pensa un instant à faire une blague douteuse sur son haleine ou même sur sa condition physique relativement pathétique mais avant que son courage se fasse la malle, il vint appuyer ses lèvres contre celles de Mayes, avec passion et ferveur ne se laissant pas le temps d’y réfléchir à deux fois. Et avec douceur, lentement, il vint y nuancer les pressions et les mouvements de lèvres, espérant qu’elle y répondrait aussi et que dans le fond, elle n’avait pas cessé de l’aimer.

Elle avait presque atteint le verre sale qu'elle avait délaissé la veille lorsqu'elle sentit les doigts d'Ollie lui attraper le bras. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il la suive, il était bien trop mal en point et elle s'était montrée bien trop brusque pour qu'il la suive. Et pourtant, voilà qu'il se saisissait de son bras et qu'elle s'arrêtait malgré elle en plein milieu de son éternelle fuite. Tout se passa très vite, et en l'espace de quelques secondes elle se retrouvait à nouveau collée contre lui, sans autre choix que de le regarder alors qu'il dégageait ses cheveux de son visage, que de regarder ses lèvres s'approcher à nouveau d'elle, et elle ne bougea pas, malgré la déception qui continuait de la ronger et malgré l'envie de lui faire sournoisement savoir qu'elle n'avait pas l'impression de tant lui avoir manqué que ça. Et il embrassa sa joue, une fois, deux fois, trois fois, et à chaque baiser il se rapprochait de ses lèvres et à chaque baiser elle sentait sa propre main se poser sur la hanche d'Oliver, se saisir du tissu de son t-shirt, le froisser entre ses doigts. « Mayes, j’ai envie de t’embrasser... Pour de vrai cette fois », asséna-t-il dans un murmure et de la main qui cramponnait son t-shirt, elle le tira vers elle pour toute réponse. Embrasse-moi embrasse-moi embrasse-moi. Et il l'embrassa. Ou peut-être l'embrassa-t-elle, elle. Qu'importe. Ses lèvres se pressaient contre les siennes et son souffle se mêlait au sien et sa peau courait contre la sienne alors qu'elle plaçait sa main libre à la base du crâne d'Ollie et l'attirait vers elle jusqu'à ce que plus aucun centimètre ne les sépare. Hissée sur la pointe des pieds, elle prit tout ce qu'il lui offrait et le lui rendit, des pressions ardentes aux délicates caresses, des coups de dents espiègles aux soupirs bienheureux.  C'était le baiser qu'elle attendait. Ce fut le baiser auquel elle s'agrippa de toutes ses forces, qu'elle croqua à pleines dents et qui lui coupa le souffle.

Oliver pendant un instant, alors que leurs lèvres s’écrasaient délicieusement les unes contre les autres attendit la sentence. Il était persuadé que la gifle ne tarderait pas une fois la surprise dissipée. Mais, la main de Mayella vint se saisir de sa nuque et appuyer légèrement l’empêchant clairement de fuir si l’idée lui avait traversé l’esprit. Tout s’intensifia rapidement à partir du moment où Mayes prit par au baiser. Ils s’embrassèrent et s’embrassèrent et s’embrassèrent à tel point qu’ils en étaient à bout de souffle mais bien incapables de se détacher l’un de l’autre. Oliver tenait fermement le visage de Mayes entre ses mains, son corps collé contre le sien, un tas d’émotions fortes le traversant, submergeant ses terminaisons nerveuses. Et puis, après de longue seconde, Oliver d’une main assurée vint enlacer à nouveau la taille de la jeune femme et l’invita en la gardant tout contre lui à avancer doucement. Oliver recula à tâtons, Mayella tout contre lui, vers la chambre d’où ils étaient sortis.
Avec difficulté, ils ré-entrèrent dans la chambre, incapable de se décoller l’un de l’autre. Sans réellement savoir comment, en quelques secondes, Mayella se retrouvait allongée sur le lit, Oliver la dominant de son grand corps, incapable de détacher ses lèvres des siennes. En appui sur ses avants bras, il prit un instant pour la regarder de ses grands yeux brillants. Il l’aimait, il l’avait toujours aimé et il n’avait aucun doute là-dessus. Il allait lui dire, les mots allaient quitter ses lèvres lorsque Mayes l’attira à nouveau à lui, l’embrassant avec encore plus d’intensité. Il sentait son désir grandir alors que leurs corps semblaient fusionner, que ses sentiments explosaient partout dans sa cavité crânienne, et que ses sensations devenaient incontrôlables. Sa bouche dévia des lèvres de Mayella pour venir embrasser, grignoter, suçoter la peau tendre de son cou. Il avait envie d’elle, entièrement. Et pourtant une partie de son cerveau ne pouvait s’empêcher de penser que tout allait beaucoup trop vite entre eux, que tout devenait hors de contrôle.

Mayes tenta d'enfouir sa main dans les cheveux d'Ollie, d'y tirer légèrement dessus comme elle avait l'habitude de le faire, fut un temps, mais ses doigts ne parvinrent pas à agripper quoi que ce soit, et elle laissa échapper un faible grognement de frustration avant de se venger en redoublant d'ardeur dans ses baisers. Si elle avait souvent imaginé des retrouvailles plus douces, elle préférait de loin les vives affections que lui manifestait Ollie et qu'elle lui rendait avec application. Aveuglée par le plaisir soudain de retrouver l'objet si familier de ses convoitises, elle se laissa guider jusqu'à la chambre, se laissa retomber sur le lit, se laissa embrasser et embrassa en retour de toutes ses forces. De ses doigts avides elle caressa la peau du dos d'Ollie, la mordit de ses ongles et l'apaisa de gestes fébriles. De sa bouche insatiable elle explora, croqua, ravagea celle d'Ollie, soupira son nom lorsqu'il malmena son cou, tenta vainement de reprendre son souffle avant de repartir à l'assaut de sa peau.
Elle se souvint vaguement qu'il avait mal au genou, et dans un acte de sacrifice purement désintéressé, elle enroula ses jambes autour de lui et pivota jusqu'à ce qu'elle se retrouve sur lui. Elle en profita pour se débarrasser de son pantalon, trop grand, trop encombrant, trop superflu. Puis lui adressa un sourire malicieux, embrassa sa joue mal rasée, la ligne de sa mâchoire, la peau tendre derrière son oreille, et dans un sournois mouvement de hanches, se frotta délicatement contre la raideur incriminante du caleçon d'Ollie. « On devrait être sages », lui disait-elle d'une voix haletante, sans envisager une seule seconde de se détacher de lui, son désir à elle se répandant avec trop d'insistance depuis le bas de son ventre pour être ignoré. « Ollie– s'il te plaît », supplia-t-elle sans trop savoir si elle lui demandait d'être raisonnable ou de la prendre en pitié. Du bout des doigts, elle parcourut le tissu du t-shirt d'Oliver, suivit les courbes de son torse, le creux de ses côtes, la plaine de son ventre, jusqu'à se glisser, presque innocemment, dans son caleçon.