drinks on me, gossips on you ― Monty

Une fois n'est pas coutume, Vera s'échappe de l'appartement, dans lequel la chaleur semble être même difficilement supportable pour le pauvre chaton qui s'est réfugié sur le carrelage de la salle de bain, abandonnant Tristan à sa télévision et au sandwich grec qu'il est allé s'acheter en bas, à quelques mètres de chez eux. Il l'interroge sur sa destination et elle répond simplement qu'elle sort, en attrapant la veste en jean qu'elle a suspendu dans l'entrée en rentrant tout à l'heure. Puis elle claque un bisou sur sa joue qui gratte, signe que les vacances scolaires approchent à grand pas, et sort de l'appartement furtivement pour rejoindre les rues New Yorkaises. Dehors, l'air n'est pas plus respirable qu'à l'intérieur, et elle a rapidement fait de retirer sa veste pour la glisser dans son gigantesque sac à main. Elle attrape un taxi au vol, pour éviter de n'arriver en eau au bar, et se laisse tomber sur un siège en cuir qui lui colle aux jambes tellement il faut chaud. La tête posée sur la vitre, elle observe la ville qui défile sous ses yeux. Elle ne s'en lassera jamais, de la beauté époustouflante de la ville, de sa diversité, de ces quartiers qui se suivent sans se ressembler pourtant.

Elle est un peu fatigué. Rien qu'un cocktail et quelques discussions ne puissent arranger, cela dit. On aime Vera pour son énergie éternelle et sa capacité à jouer sur tous les fronts, elle le sait bien. Mais quand le taxi s'arrête face au bar dont elle a donné l'adresse en sortant, elle sursaute légèrement, comme si elle s'était perdue dans un sommeil léger, dans ses rêveries. Elle remercie, tend un billet, annonce poliment que le chauffeur peut garder la monnaie, et attrape la poignée de la porte pour s'extirper du taxi - et de ce cuir lui colle toujours aux cuisses. A nouveau dehors, elle remet son sac en place et marche les quelques pas qui la séparent de l'entrée du bar de Brooklyn. Elle n'est vraiment pas loin de chez elle, de chez eux, elle aurait pu marcher, madame la princesse, mais elle ne regrette pas sa dépense ; il fait une chaleur étouffante.

Quand elle entre, elle reconnait immédiatement celui qu'elle est venu retrouver, et s'arme donc d'un sourire quand elle rejoint sa table. Evidemment qu'elle est en retard, question de style - ou alors, question d'organisation de sa vie de chef d'entreprise, allez savoir. Vera et Monty se connaissent depuis longtemps - des heures peu glorieuses de son adolescence où la jeune femme était en pleine crise de rébellion vis à vis de ses parents, qui se plaisent d'ailleurs à considérer qu'elle n'est jamais vraiment sortie de cette phase. A l'époque, elle allait encore à la Messe. Et pas seulement pour les mariages ou les baptêmes. A l'époque, rien ne les destinait franchement à être amis - et pourtant. Pas qu'ils soient collés l'un à l'autre, mais de temps à autre, un SMS déclenche la perspective d'une rencontre. « Hello handsome », elle murmure, arrivée à sa hauteur, en se baissant légèrement pour déposer une bise sur chacune de ses jours. Elle tire ensuite la chaise en face de lui et s'installe en croisant les jambes. « I can't believe how hot it is, I'm having troube breathing out there », elle note en posant son sac à côté d'elle. « I'm happy to see you », elle ajoute, son sourire qui s'agrandit. « What are you drinking? Drinks on me tonight », elle précise en attrapant une carte pour trouver n'importe quoi à base d'alcool et de glaçons.

Il est important de trouver du temps à passer avec ses proches, de faire jaillir quelques heures dans un emploi du temps décousu - et néanmoins surchargé - pour aller boire un verre avec ses copines ou regarder des films avec son coloc / meilleur ami / tant de choses encore. Et pour appeler sa petite soeur chérie, comme Cleo lui répète depuis l'écran de son téléphone, posé en équilibre précaire sur une commode. Il est presque en retard, mais peu importe. Personne n'est à l'heure, pas dans cette ville, pas par ces chaleurs. « Yes Cleo, you are the sunshine in my life, the apple of my eye, the blood of my blood and I adore you and I owe you my freedom and my sanity. But I'm running late so can you find time to shout at me some other time? Sunday brunch at Jameel's? » L'intéressée soupire, le réprimande encore un peu, un sourire aux lèvres cette fois. « Tell V I said hi, by the way. And maybe tell her other things. » Le ton n'est guère amusé et le sourire s'est envolé. Monty grimace et se contente d'une réponse un peu sèche. « Not now Cleo. I love you. » Et il raccroche sans plus de cérémonie, terminant enfin de remonter les manches de sa chemise légère, ouverte d'une manière qui frôle l'indécence. Mais il fait trop chaud.

New-York est étouffante l'été. Moite, collante, elle s'infiltre partout. Les odeurs de nourriture, d'égout, de fleurs et de sueur flottent plus longtemps dans l'air et s'imprègnent partout. Les racines du jeune Wood lui confèrent certes un certain sens de la survie, mais il n'est pas mentalement ou génétiquement équipé pour gérer cette météo. Il traverse à peine trois rues pour aller au bar et il se sent déjà en nage. Vera n'est pas encore là, mais elle ne tarde guère et il n'a même pas le temps de commander. Il l'enlace légèrement, lui rend sa bise et la laisse s'installer. Elle transporte avec elle une aura de bonne humeur et d'énergie qui ne semblent pas l'avoir quitté depuis ses douze ans. Il ne peut s'empêcher de lui faire un sourire radieux.

« Hello darling, you look unbelievably fresh, all things considered. I'm over hear, sweating like a whore in church and you're a fucking daisy. » Il rit et hausse un sourcil quand elle se propose d'offrir sa tournée. « Well, well, look at you, boss ladying all over the place. Scored a good deal or just feeling generous? » Il ne s'embête pas à lire la carte, il commande toujours la même chose de mai à septembre, comme une mamie chic aux bonnes habitudes. Aussi quand la serveuse s'approche, il n'hésite pas et lui offre un sourire charmeur. « A gin and tonic for me please. » Une fois cette étape, nécessaire à toutes bonnes retrouvailles, passée, il s'accoude à la table et lance. « So hon, how have you beeeen? Any hot goss from the office? How's the sexy bff? Tell me everything and then, oh my, oh my, do I have some juicy shit from the old neighborhood for you. » Les drames de leurs vieilles connaissances sont sans fin et sa mère ne se privent jamais de tout lui raconter. Même Cleo n'est pas toujours au dessus d'un bon potin. Et Vera ne l'est certainement pas.