The Definition of Awkward - Chris

Son rendez-vous s’est plutôt bien passé. Pas non plus l’extase ou le coup de foudre, mais ce n’est pas ce que recherche la blonde. Après deux histoires d’amour compliquées qui lui ont laissé un goût amer dans la bouche et ce nouveau rôle dans la célèbre comédie musicale Chicago qui lui ouvre - enfin – les portes de Broadway, Lexie n’a pas en tête de s’engager dans une relation longue qui lui demanderait bien trop d’effort. La jeune américaine – à presque trente ans on est encore jeune – ne cherche qu’à s’amuser. Surtout ce soir, avec ce beau brun qu’elle embrasse fougueusement devant la porte de sa collocation. Le vin blanc dégusté durant tout le repas lui est monté à la tête, juste assez pour effondrer son inhibition et son insécurité mais pas trop pour ne pas se ridiculiser et rendre son repas sur cet homme séduisant. Non pas qu’elle compte le revoir, mais Lexie a une réputation à tenir et ne voudrait pas gâcher ce qui semble annoncer une délicieuse nuit en perspective. Tout comme le prouve la main du jeune homme qui se fait insistante sur ses hanches, à travers le tissu de sa robe dorée. Ou la manière qu’il a de la plaquer contre le mur. Dans un rire discret, elle le repousse gentiment, non sans lui envoyer un œillade qu’elle espère engageante. « Laisse-moi le temps de trouver les clés. Et on pourra continuer cette … charmante discussion. » Après un temps relativement long à farfouiller dans son sac, tout en sentant les caresses insistantes du bel étranger sur la cambrure de son dos, elle peut enfin ouvrir la porte. Il est assez tard et normalement ses colocataires sont dans les bras de Morphée ou bien dehors à faire dieu sait quoi.

C’est tout du moins ce qu’elle pense, ou elle n’aurait alors pas repris cette danse effrénée et sensuelle, déboutonnant d’une main d’experte la chemise du jeune homme, tandis qu’il fait glisser la fermeture de sa robe, le contact froid du petit bout de métal contrastant fortement avec sa peau brûlante. Leur bouche ne se quittant jamais plus de quelques secondes, leur souffle chaud se mélangeant comme une promesse d’un plaisir partagé qui ne saurait tarder. Enfin, jusqu’à ce que Lexie réalise qu’ils ne sont pas dans le noir, fait étrange quand tout le monde est censé dormir, et qu’ils ne sont pas exactement seuls. « Oh salut, Chris. » S’empresse-t-elle de faire en s’éloignant instinctivement du bel homme, ses joues toutes roses pour souligner son état d’ébriété mais également la gêne qui se répand en elle face à la dernière personne qu’elle aurait voulu voir, là tout de suite.

Si Chris est toujours réveillé, c'est simplement parce que son rythme biologique est totalement messed up. On ne peut pas vraiment se coucher à pas d'heure tous les jours de semaines pour cause de performance et se coucher à une heure décente les jours de repos comme si de rien était. L'excitation qui suit généralement les représentations ne le quitte pas avant quatre ou cinq heures du matin. Alors assez naturellement, il épluche fébrile le catalogue Netflix, avec toujours cette même appréhension d'en avoir fait le tour. Et c'est sûrement le cas. Lorsqu'il lit les descriptions de certains films, ils se demande surtout comment certains réalisateurs ont pu penser qu'il s'agissait là d'une bonne idée. Il finit par se décider pour une sorte d'émission britannique sur les plus belles créations architecturales du monde. Son père serait sûrement étonné de le voir s'intéresser à ce genre de choses. Il serait déçu d'apprendre qu'il préfère en critiquer la décoration intérieure qu'en admirer les exploits techniques.

Cette mauvaise idée l'a donc poussé à prendre en otage le canapé du salon, et un grand bol de glace. Soirée chill interrompue par une Lexie qui rentre de soirée. Accompagnée. Chris tourne instinctivement la tête avant de se couvrir les yeux dans un geste théâtral qui manque clairement de sincérité. Dans d'autres circonstances il aurait ricané, balancé un commentaire amusé, mais il est pris de court par ce qu'il ressent et qui est bien loin de l'amusement en réalité. Il a beau tenter de rationaliser, de se tenir à sa version de l'histoire dans laquelle il est tout à fait possible de vivre avec son ex,  il lui est difficile d'ignorer le pincement au coeur qu'il ressent à l'idée de voir Lexie ramener un type qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam dans leur appartement.

Par réflexe, il finit par jouer le jeu cela dit, les crises de jalousie n'ont jamais été son truc. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont rompu. Si il y réfléchit bien, ce n'est pas bien grave, et surtout il n'a pas envie d'entendre Dasha lui rappeler qu'elle leur avait bien dit que ce serait bizarre. « Oh Lexie salut, ta mère a appelé. » Il met le documentaire sur pause et jette un regard suspicieux au compagnon de son ex avant d'afficher un sourire suivi d'une poignée de main faussement chaleureuse. « Chris, le coloc, enchanté. Je vais pas vous embêter plus longtemps. Vous souciez pas de moi. »

Bizarre, vous avez dit bizarre … ? Il n’y a qu’un seul mot pour désigner cette situation pour le moins particulière. Ou non à bien y réfléchir, une bonne trentaine de mots différents défilent dans la tête de la blonde, qui si elle était un peu alcoolisée devant la porte de son appartement, a dessoulé bien vite. Rien de tel que de tomber nez à nez avec son ex alors qu’on embrasse un autre homme pour faire redescendre la tension délicieuse des corps entremêlés, et sans doute tout désir sexuel. L’idée même de s’épanouir dans les bras du charmant inconnu qu’elle vient à peine de rencontrer est déjà bien loin de ses pensées et sa fine main le repousse gentiment mais fermement lorsqu’elle sent les doigts chauds du brun recommencer leurs caresses sensuelles sur son dos. Elle aurait pu et - peut-être même du - ignorer la présence du meilleur ami installé confortablement sur le canapé, bol de glace à la main, tout comme elle aurait pu faire fi du geste exagéré – digne d’un comédien de soap. Et d'ailleurs, heureusement qu’elle connait le talent de Christopher sinon elle aurait eu de sérieux doute à la vue de ce geste si faussement interprété. Sauf qu’il ne les laisse pas à leur affaire et qu’il engage la conversation, sadisme ? Ennui ? Jalousie ? elle serait bien infoutue de le dire la blonde aux joues bien plus roses que d'ordinaire. Et en plus il parle de sa mère, la blonde, suspicieuse ne peut s’empêcher de penser à un coup bas, après tout cela fait plus de dix ans qu'elle ne l'a pas vue sa mère. Mais elle connait Chris, ou du moins pense le connaître, aussi bien que les paroles de toutes les chansons de Wicked, et jamais il n’oserait se servir de cela pour la blesser. Il y a quelques mois, quand ils étaient encore ensemble, Lexie aurait sauté sur ses grands chevaux en entendant de tels mots, à coup d’insultes et de crises très inquiétantes. Mais voilà, ils ne sont plus ensemble, et toute cette colère, cette jalousie, cette rancœur qu'il ne méritait pas, semble être retombée comme un soufflé. C’est pourquoi elle reste calme et le fixe de ce regard interrogateur, le sourcil relevé et la main sur la hanche. « C’est ma sœur qui lui a passé mon numéro, ça lui ressemblerait bien. Bref, qu’est-ce qu’elle voulait ? Même si je m'en fiche... » Murmures dans sa barbe inexistante, Lexie panique presque.

Oublié le coup d’un soir, et ce n’est que lorsque Christopher tend sa main parfaite vers le brun à ses côtés que sa présence lui revient en tête. « Oups, pardon, j’en oublie toute politesse. » Les mots fusent alors que le brun lui rend ce salut, ne se doutant sans doute pas un seul instant de ce qui est en train de se jouer juste sous son nez. « Christopher, je te présente euh … Tom, charmant jeune homme que je viens de rencontrer. Et Tom, voici Christopher mon … euh mon … » Mon quoi ? Et les mots se coincent dans sa gorge, pourtant si habituée à en sortir des mots, mais bien sûr jamais quand il le faut et souvent beaucoup trop. Parce que si elle avait pris deux minutes pour s'arrêter de bouger et réfléchir, elle se serait déjà posée cette question depuis un bon moment... Qu’est-ce qu’il est aujourd’hui Chris pour elle : son coloc comme il l’a simplement dit sans pouvoir apercevoir le pincement au cœur de Lexie. Ou bien son ex, son meilleur ami, une ancienne connaissance ? Et eux qui disaient que rien ne changerait, et s’ils s’étaient trompés ?

Le tout prend des allures de conversation tout à fait normale, ce qui doit vraiment déstabiliser le jeune homme qui s'apprêtait à passer à l'étape supérieure avec Lexie Warren. Chris de son côté hoche la tête, en accueillant les informations sur la mère de Lexie et sa sœur comme il l'aurait fait en pleine journée en préparant une pizza maison. Toute la famille y passe, puis le temps des présentations devient vite une étape que la blonde, tout comme son charmant amant du soir, aurait sans doute préféré éviter. Son quoi exactement ? Son meilleur ami aurait été la réponse adéquate à cette question épineuse, mais ce n'est pas vraiment ce qu'ils ont en tête lorsqu'ils songent à leur relation. Pas inconsciemment en tout cas. L'alcool n'arrangeant rien à l'affaire, Chris qui a fait l'erreur d'aller boire un verre en sortant du boulot, répond le plus naturellement du monde comme si la situation était parfaitement normale. Ce qu'elle n'est pas vraiment, mais Chris nous contredirait sur ce point. « Son ex petit ami, meillleur ami, absolument pas jaloux, totally cool with it. » Ce qui n'est objectivement pas le cas. Ni pour Chris, ni pour le jeune homme qui commence probablement à ce se demander si les artistes de Broadway ne sont pas tout simplement fous à lier.

Voyant que son explication ne passe pas vraiment, Chris s'enfonce en tentant de s'expliquer avec une aisance qui n'est que l'écho des nombreuses conversations qu'il a eu à ce sujet avec ses autres colocataires. Etrangement, ça ne prend pas aussi bien auprès de cet inconnu qu'avec Dasha. « On s'est quitté en bon termes. Mais je te rassure, Lexie a sa propre chambre. Il lui arriver encore de me voler ma salle de bain c'est vrai, mais seulement quand elle est pressée ou que notre autre coloc passe des heures sous la douche. Rien de bizarre, vraiment. » Son rire nerveux, vient achever de convaincre le jeune homme qu'il faut fuir la situation au plus vite. Chris hausse les épaules, et tandis que le type prend congé de façon absolument gênante, il se laisse tomber sur le canapé. « Pourquoi est-ce que les gens voient toujours le mal partout ? L'amitié fille garçon est un concept définitivement trop moderne pour 2018. »

Lexie le voit partir, s’éloigner presque à reculons en bredouillant la plus pitoyable des excuses. Et elle n’esquisse pas un geste pour le retenir, le rattraper, le convaincre de rester et profiter de cette nuit qui s’annonçait pourtant si délicieuse. Pas la force, et puis pas vraiment l’envie. Déboussolée. Par l’appel de sa mère, un peu. Par l’incapacité à nommer Christopher, surtout. L’alcool ne rend pas lucide, ce serait plutôt tout le contraire, mais Lexie est comme restée figée sur la dernière phrase qu’elle a prononcée. En fait, elle ne calcule pas réellement ce que répond le principal intéressé, et c’est d’un regard hagard qu’elle voit l’autre – prénom déjà oublié – quitter l’appartement de la blonde avec une mine embarrassée. Cela lui fera une belle histoire à raconter à ses copains.

Ce n’est que lorsque la porte se referme sur le brun séduisant et que les deux célébrités se retrouvent seules dans le grand salon que Lexie revient à la réalité, passe une main dans sa chevelure flavescente, pousse un soupir peu discret tandis que des dents éclatantes viennent mordiller la lèvre inférieure. Depuis combien de temps ne se sont-ils pas retrouvés tous les deux dans la même pièce, seuls ? Oui la blonde à la fâcheuse tendance à se balader nue dans l’appartement, à réquisitionner la salle de bain de son ex petit copain, mais c’était toujours en coup de vent. Que se passe-t-il dans sa vie, est-ce qu’il voit quelqu’un ? Est-il heureux, plus heureux que quand ils étaient ensemble, ça c’est sûr, mais sinon… La réalisation est brutale, plus encore peut-être que la séparation en elle-même.

Lourdement, la comédienne s’affale sur le canapé au côté du brun. Hochant doucement la tête au commentaire qui se veut drôle certainement mais qui laisse une note amère dans la gorge de Lexie. Elle tourne son visage et pose son regard translucide sur le profil de l’ami, ex-amant, c’est compliqué, mais c’est simple, it’s not at all awkward but yeah it is. « Peut-être qu’ils voient le mal partout, parce qu’il y a du mal à voir ? » Qu’elle dit, d’une toute petite voix comme si elle ne voulait pas réellement être entendue. Parce que malgré tout, elle redoute cette conversation, et que l’avoir après minuit, avec de l’alcool dans le sang n’est sans doute pas une si bonne idée que ça. Mais on parle de Lexie, et elle aime mettre les pieds dans le plat. « Je veux dire. Chris. Quand est-ce que nous nous sommes retrouvés tous les deux sans Dasha, ou une de nos conquêtes ou un de tes potes de la Tisch ? » Les mots passent difficilement, et maintenant elle évite de le regarder. « Et sans Netflix. Juste nous deux. Comme avant quand on faisait n’importe quoi et qu’on se couchait jusqu’à pas d’heures juste parce qu’on aimait bien discuter tous les deux. » Un autre soupir vient rejoindre les trois précédents alors qu’une main joue nerveusement avec une mèche rebelle et que ses yeux fixent avec un intérêt feint les paillettes de son haut. Peut-être que la nuit la rend plus courageuse, ou complètement cinglée. Qui sait ? « Et si … Et si. Enfin non laisse tomber. Les divagations d’une femme qui vient de perdre un date. Rien de plus. »  Finalement, pas si courageuse que cela la Warren. Apeurée d’avoir lancé une conversation qu’ils évitaient manifestement depuis plusieurs mois, elle change le sujet dans une tentative désespérée de noyer ces toutes nouvelles inquiétudes. Ignorance is bliss.  

Du mal à voir ? Chris fronce les sourcils un instant surpris par les paroles de Lexie. Après des semaines à prétendre qu'il n'y avait absolument aucun mal à voir justement, il a bien du mal à saisir pourquoi cela devrait tout de suite devenir un problème. Alors il se braque un peu, maudit les gens qui ont finalement réussi à mettre dans la tête de Lexie que deux exs ne pouvaient tout simplement pas se séparer en bons termes et redevenir amis ensuite. Leur vie n'est pas un TV show, destiné à faire rire les foules, ou même à se terminer par une réunion passionnée sur le canapé du salon. Parfois certaines relations ne fonctionnent pas, et lorsqu'elles sont écourtées avant même avoir eu la chance de se développer, il est bien normal de songer à sauver ce qu'il reste ou dans le cas présent une amitié qui ne peut pas être traitée comme toutes les autres. Son amitié avec Lexie est plus ancienne que n'importe quelle autre. Évidemment qu'il n'allait pas laisser une petite semaine simplement tout gâcher. Il aimerait bien blâmer Dasha pour cette conversation houleuse, mais les petites tensions entre les deux blondes ne lui ont probablement pas donné envie de faire des leçons de morale à Lexie.

« Lexie, I know what this is about, j'ai eu cette conversation avec les autres tout comme toi. C'est bizarre peut être, parce qu'on a partagé un moment d'intimité c'est vrai. Ça prendra sûrement un peu de temps pour composer avec ça, mais on y arrivera ? Je veux dire... On a rien perdu à essayer, il ne faut pas se laisser monter la tête par des gens qu'on adore certes, mais qui ne savent rien de notre amitié. On vaut mieux que ça. » Chris lui adresse un sourire encourageant. Les gens sont toujours plein de bons conseils, mais chaque situation est différente, et Chris n'a pas envie de croire que leur amitié est foutue parce qu'ils sont sortis ensemble deux semaines à tout casser. « Ce n'était pas le bon moment, ça ne le sera peut être jamais, mais tu restes ma Lexie ? Screw them  non ? »  Ce n'est sûrement pas la meilleure chose à faire que de discuter de ça alcoolisés, mais Lexie ne lui laisse pas vraiment le choix. « Les gens qui se cassent seulement pour ça ne méritent pas ton attention tu sais. »

Elle pousse un soupir Lexie et sa tête se pencherait presque jusqu’à toucher l’épaule de son Chris. Mais elle n’en fait rien, il y a comme une gêne à le toucher, à l’approcher. C’est peut-être ridicule. Elle s’est peut-être laissé monter la tête par les autres, les amis qui critiquent, les amants qui disparaissent gênés quand ils apprennent toute l’histoire. Histoire pourtant pas bien intéressante, si ? Deux meilleurs amis qui ne s’étaient presque pas vus pendant un an – incapable de se libérer de l’emprise de son ex-copain – et puis elle lui était revenue en mille morceaux et il l’avait récupéré avec sa petite cuillère dorée, ses délicieux mets faits maison et son oreille attentive. C’était presque comme une évidence alors de venir se réfugier dans les bras rassurants de Chris, de la première personne qui avait eu confiance en elle quand le reste du monde semblait lui crier de disparaître. Mais les évidences ne sont pas toujours bonnes à suivre. Et après un temps, et la peur de le perdre, la possessivité incontrôlable et les crises de jalousie, son monde avait fini par s’écrouler une énième fois. Petit château de cartes emporté par la bourrasque.

Elle réfléchit un peu Lexie, tente de composer avec ce qu’on lui dit, ce qu’elle pense, et tout le reste. Elle hausse une épaule mais se voit obligée de répondre au sourire de son ami par un autre, un peu plus convaincant que tout ceux qu’elle lui a donné ces derniers temps. « C’était une erreur. Je veux dire, j’avais besoin de réconfort, j’avais besoin d’être prise dans des bras, j’avais besoin de tellement de choses et j’ai cru que c’est toi qui pourrait me l’apporter. J’ai confondu amour et Amour. » tout n’a pas vraiment de sens, l’alcool n’aide sans doute pas. Et si elle a peur là ce soir, si elle se pose des questions, ce n’est pas qu’elle regrette l’amant, mais l’ami lui manque tellement, si intensément, c’est comme une partie d’elle qui a disparu. « Enfin, tu vois ce que je veux dire ? L’amour d’un ami et l’Amour avec un grand A et patati et patata. Mais le truc, c’est que j’ai l’impression, qu’en essayant ça, en confondant les deux. Je n’ai pas seulement perdu l’amant, j’ai perdu mon meilleur ami. Et ça c’est dur. Et je suis impatiente, si on pouvait directement sauter les moments gênants et redevenir comme avant ce serait bien. » La dernière remarque du comédien la fait doucement sourire, un sourire un peu dur, un peu amer. « Oh je m’en fiche de lui. Il est parti depuis seulement dix minutes et je sais même plus son prénom. » Une pause, un autre soupir. Elle semble hésiter entre les sourires et les soupirs ce soir. « C’était quand la dernière fois qu’on a parlé Chris ? J’étais même pas là le soir de ton anniversaire, je. C’est de ça que je parle quand je dis qu’il y a du « mal à voir ». C’est juste ça, cette impression d’avoir perdu beaucoup plus qu’une bête tentative d’histoire insensée. »

Une erreur. Voilà ce qu’il est. Chris digère l’information avec difficulté, et c’est sûrement exactement ce dont Lexie veut parler. Une rupture laisse des traces, aussi stupide soit-elle. Ils ne sont certes pas restés ensemble très longtemps, mais suffisamment somme toute pour que leur amitié ne soit plus ce qu’elle était autrefois. Chris a voulu fermer les yeux là-dessus, se convaincre que les choses pouvaient tout simplement reprendre leurs cours sans qu’une longue conversation ne s’impose, mais force est d’admettre qu’il est finalement blessé par la remarque de son ex petite amie. Si il peut admettre que le timing n’était pas excellent, que Lexie aurait dû réfléchir avant de se lancer dans une nouvelle relation, il ne peut pas aller jusqu’à dire qu’il a confondu amour et amitié. Pour Chris ce ne sont pas des cases bien déterminées dans lesquelles il faut se murer et ne jamais sortir. Il a aimé Lexie, bien plus qu’une amie finalement, et l’entendre dire que ce n’était pas réciproque lui fait plus de mal qu’il ne veut bien l’admettre.

Alors il avale sa salive, se mord la lèvre inférieure et hausse une épaule. Cette conversation est loin de lui être plaisante, mais Lexie ne compte pas s’arrêter là. Elle a besoin de mettre des mots sur la situation, rien de plus logique finalement.  

- Je vois ce que tu veux dire Lexie, mais ça ne veut pas dire que je me reconnais dans ce que tu dis, même si je suis bien conscient que ce serait plus simple de penser ainsi. Je n’ai pas confondu les deux, je t’ai aimée des deux façons tout simplement. Alors peut être que je souffre inconsciemment d’avoir perdu l’amante, mais je reste ton meilleur ami, et rien ne changera ça. Il faut juste que tu me laisses digérer ça et tout ira bien je te le promets.

Sans doute, il n’en sait rien. Il n’a jamais été de ceux qui en veulent éternellement à leurs exs. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent la fin d’une relation, et une fois capable de les analyser et de les rationnaliser, il ne voit plus l’intérêt d’avoir des ressentiments. La réplique de Lexie reste difficile à entendre, puisqu’elle sous-entend que contrairement à lui, elle n’a jamais éprouvé ce genre de choses pour lui. Chris ne garde pas que des mauvais souvenirs de cette relation bien au contraire. Tristement, il a toujours considéré l’amitié comme un ingrédient essentiel pour une relation qui fonctionne.

- Peut –être que l’erreur qu’on a commise c’est d’avoir eu peur d’en parler ?

Mais clairement, ce n’est pas en rentrant d’une soirée alcoolisée qu’il est préconisé de parler de ce genre de choses. Les gens ont tendance à penser qu’ils sont capables de plus d’honnêteté lorsqu’ils ont bu, mais ils ne réfléchissent pas à ce qu’ils disent, perdent en authenticité en pensant trop simplement que ce qu’ils meurent d’envie de dire désinhibés, reflète la réalité dans laquelle ils évoluent. Sélectionner ce qu’on souhaite dire, nuancer, c’est trouver un équilibre en ce qu’on est et ce que l’on veut être, équilibre auquel il est sûrement plus sage de s’identifier.

- Je ne pense pas que maintenant soit le moment cela dit, Lexie…

Les mots quittent ses lèvres avant qu'elle ne puisse les rattraper et le mal est déjà fait. Le pire, c'est que Lexie ne réalise même pas la violence de ses propos. Elle ne pourrait voir l'effet que font ces quelques mots sur son meilleur ami, trop occupée qu'elle est à éviter son regard. A tenter de rejeter la fatigue qui alourdit ses sens et fait se baisser les paupières. Bien sûr que non il n'est pas une erreur, bien sûr qu'elle l'aime, l'a aimé, l'aimera. Sauf que la comédienne a déjà tant de mal à s'aimer elle-même que l'amour des autres est éloigné, rejeté. Elle se protège sans doute. Mais elle fait mal au passage.

Les yeux maintenant fermés, Lexie écoute la voix rassurante de son meilleur ami, sans entendre ce qu'il y a derrière. L'alcool n'est sans doute pas finalement le plus utile quand on souhaite avoir une discussion. Il faut qu'elle lui laisse du temps. Du temps pour diriger, pour oublier, pour pardonner peut-être. Du temps pour qu'ils puissent se retrouver, pas vraiment comme avant, mais surtout pas comme maintenant. Doucement, elle hoche la tête. « D'accord. Je peux te laisser du temps. Je pense que j'en ai besoin aussi. » Et c'est tout ce qu'elle peut dire pour avouer qu'elle n'est pas sortie aussi indemne de cette relation qu'elle le laisse penser. Sa fierté l'empêche de tout révéler. Ou autre chose, Lexie ne sait pas, ne sait plus et un mal de tête qui s'entête ne veut plus la laisser tranquille. Il y a comme des points noirs sur le bout de sa rétine, et des trous noirs en place et lieu de ses pensées. La blonde s'affaisse un peu, les jambes tendues qui pendent mollement en dehors du canapé. « Tu as raison. Ce soir n'est sans doute pas la meilleure idée. Je ... » Un bâillement peu glamour vient interrompre le cours de ses pensées déjà bien emmêlées. « On parlera demain, ou plus tard ou quand tu seras prêt. Bonne nuit Chris » Et dans un dernier murmure, Lexie s'allonge un peu mieux sur le grand canapé du salon, trop épuisée maintenant pour se relever et se rendre jusqu'à sa chambre. « Joyeux anniversaire en retard. » Elle voulait rattraper le temps perdu, et en s'endormant, en rejoignant le sommeil troublé des esprits alcoolisés, la trentenaire se demande si elle n'a pas fait qu'aggraver les choses. Et si vraiment, c'était ça qu'elle voulait.

Chris n’est pas bien et Lexie le remarque bien rapidement. Leur relation, même si ils ont essayé de convaincre le reste du monde du contraire, est loin d’être facile à appréhender. Deux meilleurs amis qui font l’erreur de penser qu’ils ont une chance tous les deux, il y a malheureusement de quoi rire jaune. Chris prend donc la remarque de Lexie avec difficulté même si le contenu de celle-ci ne devrait pas l’affecter autant. Ils sont amis c’est vrai. C’est ce qui compte finalement, et il aimerait que cela soit tout simplement aussi simple que cela en a l’air quand ils en parlent aux autres avec cette désinvolture suspecte. L’alcool qui vient donner plus de brutalité aux paroles de son amie n’est malheureusement pas pour arranger les choses. Lexie réalise d’ailleurs qu’il s’agit d’une conversation pour un autre temps. Une conversation qu’ils se feront cependant un plaisir d’oublier dès le lendemain.

Affronter la réalité de leur erreur n’est pas aussi aisé lorsque le café coule dans leur veines à la place de quelques précieux grammes d’alcool. C’est toujours la même chose, Chris aurait aimé avoir bu autant que Lexie ce soir là. Si il ignorera la conversation de la même manière, il s’agira cependant plus d’une question d’ego que de tout autre chose. Ils auraient pu être heureux ensemble, un détail qui continue de s’offrir une place de choix dans sa tête.

Seulement Lexie n’est pas prête, et c’est tristement quelque chose qu’il aurait pu prévoir si toutefois il avait pris la peine de réfléchir. Les relations toxiques sont ce qu’elles sont : toxiques. Elle empoisonnent tout ce qu’il peut y avoir de sain autour et ce n’est finalement pas surprenant que d’anciens réflexes aient eu raison de leur vaine tentative de relation. Dans cette configuration le temps et leur seul allié. Il est vraiment temps pour eux d’aller rejoindre les bras de Morphée. Chris n’oubliera pas la dureté des paroles de Lexie, mais il pourra faire le deuil de cette relation, arrêter de se demander ce que les choses auraient pu être si les choses avaient bien fonctionné avec sa meilleure amie.

- Il faut qu’on dorme oui. On en parlera demain. Tout ira bien Lexie.