tequila time | andrea

Ca n'avait pas été sa meilleure représentation. Dasha n'est pas la plus auto-critique des actrices - peu le sont, encore moins celles qui ne sont jamais passées par les planches - mais elle s'est tout de même rendu compte des petits moments plats de sa prestation. Ou plutôt, de leur prestation. Chris s'étant débrouillé pour tomber malade en pleine canicule, c'est sa doublure qui est devenu Danny Zuko et dire que le courant ne passe pas aussi bien qu'avec son colocataire serait un doux euphémisme. Elle ne connaît pas très bien Andrea et le voit principalement comme le meilleur ami bizarre d'Anna, avec qui elle entretient déjà des rapports suffisamment compliqués comme ça.

Il chante merveilleusement, bien entendu, mais elle aussi. Là n'est pas le problème. Quelque chose de plus viscéral était absent de la scène ce soir. Un manque de connexion. Oui, on peut feindre ces choses là, mais quand on a peu répété ensemble et qu'on se concentre sur le marquage pour ne pas faire de boulettes dans la chorégraphie, on ne peut pas vraiment faire justice à la pure alchimie qui est au coeur de Grease. Ces deux personnages n'ont après tout rien en commun, si ce n'est un coeur d'or et un désir charnel plus fort que les pressions sociales d'un lycée des 50s.

La blonde entend donc ne pas refaire deux fois la même erreur et prendre le taureau par les cornes. Elle ne connaît pas Andrea et cela affecte leur performance sur scène et c'est très irrespectueux pour les braves gens qui ont payé leur place. Dasha va donc y remédier de la seule façon possible. A peine débarrassée de son costume et les lèvres toujours teintées d'un rouge vif, elle se dirige vers la loge de son collègue, un large sourire aux lèvres et une bouteille à la main.

La comédienne frappe et attend à peine qu'on lui réponde avant d'entrer. « Salut toi ! Ca va? » Encore une fois, la réponse ne lui importe pas vraiment. « Ecoute, tu chantes superbement et tu fais un très bon Danny, mais je crois que tu seras d'accord avec moi si je dis qu'on peut faire mieux que ça? C'était pas authentique, on avait pas vraiment d'alchimie. Mais ça peut s'arranger. » Elle lève sa bouteille de tequila - on tâchera de ne pas trop se demander pourquoi elle avait ça dans sa loge - et sourit de plus belle. « Je pense que si on apprend à se connaître un peu et qu'on se parle vraiment, qu'on a un échange, ça n'arrivera plus. Et le meilleur moyen pour que ça arrive sans qu'on perde des mois à bruncher et s'envoyer des textos nuls pour lier une véritable amitié : la tequila. » Un plan simple et radical qui a fait ses preuves dans la vie de Miss Burton. Cela conduit parfois à des effets secondaires comme s'envoyer en l'air avec l'intéressé·e mais quelque chose lui dit que ça ne se produira pas aujourd'hui.

Il a joué. Ce soir, pour une fois, Forbes était malade, alors il a joué. Chanté. Sur la scène, ce rôle qu'il voulait tant et qu'il n'a pas obtenu. Il a traversé divers états, quand il a su qu'il faudrait qu'il endosse ce soir le rôle de Zuko - l'excitation, d'abord, évidemment. L'appréhension, sans doute, et puis l'angoisse, pour finir, parce qu'évidemment, il fallait faire aussi bien que Christopher, et qu'il fallait composer avec une équipe déjà unie dont il ne se sent pas vraiment proche - peut-être par sa faute. Surtout, il fallait composer avec Dasha, qui n'est pas exactement une personne dont il se sent proche - c'est même plutôt l'inverse. Andrea a la rancune féroce, et il se souvient très bien de l'ignorance totale de Dasha Burton la première fois qu'ils se sont rencontrés. Elle ne l'aime pas, et sans doute lui rend-il bien, toujours est-il que cela pose un problème, et qu'Andrea le sait. Il n'a jamais été aussi bon que quand il chantait ou jouait avec Anna - parce qu'il la connait, parce qu'il l'aime. Parce qu'ils sont en harmonie.

Ce soir, pendant la représentation, il n'y a pas de fausses notes. Il a déjà assisté à quelques show avant, pour regarder Chris, pour s'inspirer. Il sait qu'elle est douée - et il n'a jamais remis ce point en question, d'ailleurs. Seulement voilà, ils ont beau être très doués tous les deux, il sent que le spectacle n'est pas aussi bon qu'il devrait l'être. Malgré les applaudissements, malgré l'enchaînement efficace des chorégraphies, il manque quelque chose. Et c'est donc un peu amer, un peu déçu, avec la peur de ne pouvoir jamais remonter sur scène pour rejouer ce rôle et livrer une prestation meilleure que celle de ce soir, qu'il regagne sa loge.

Il a envie d'appeler Anna, et en même temps, pas tellement envie de lui dire qu'il s'est planté. Parce qu'il ne s'est pas vraiment planté, d'ailleurs - personne. Il ne saurait pas comment lui expliquer. Pas comment lui dire que c'était sa chance, peut-être la seule, de prendre la place de Chris pour une soirée, et qu'il l'a ruinée. Alors, plutôt que de décrocher son téléphone pour l'embêter, il rumine.

Enfin, il rumine jusqu'à ce qu'on frappe à la porte de sa loge et qu'elle s'ouvre à la volée sur une Dasha légèrement décoiffée - toujours joliment maquillée - et qui brandit sous son nez une bouteille de téquila en parlant à mille à l'heure comme si elle avait besoin de sortir tout ce qu'elle a sur le coeur avant de regretter ses mots. Il la dévisage un instant, quand elle a fini, et prend une inspiration. Même s'il déteste l'idée, il doit bien admettre qu'elle a sans doute raison - et qu'il veut être prêt si l'occasion se représente. Et puis, avec un peu d'alcool, ce sera sans doute beaucoup plus simple et beaucoup moins gênant que de discuter des semaines en étant sobre. Il n'est pas très doué pour nouer de nouvelles amitiés, ce d'autant moins quand il a des aprioris négatifs sur les gens. « J'imagine que tu as raison », il finit par concéder, au prix d'un soupir qu'il ne fait pas le moindre effort pour dissimuler. « Va pour la téquila. Hors de question qu'on ne soit que passables la prochaine fois, si prochaine fois il y a », il finit par abonder, maintenant que son esprit se fait à l'idée. Progressivement. Il se lève pour attraper les petits verres mis à sa disposition dans un coin de la loge et l'invite à s'asseoir dans le canapé, après avoir refermé la porte. Un peu d'intimité ne fera très certainement pas de mal, dans ce contexte. « J'espère juste que Christopher sera remis sur pieds demain, pas sûr de pouvoir jouer avec la gueule de bois », il ajoute en posant les deux verres sur la petite table basse.

Il est plus facile à convaincre qu'elle ne l'aurait cru. Peut-être qu'elle a des idées préconçues sur lui - sûrement même - mais elle le voit comme un garçon coincé qui n'est pas du genre à boire de la tequila en semaine. Mais il n'y a pas de matinée demain, ils peuvent se le permettre. Plus ou moins. Elle ricane donc gaiement en se laissant tomber sur le fauteuil. « Du Coca et un burger au réveil, un peu de sport avant la représentation et ça repart. La gueule de bois, c'est dans la tête et on est plus forts qu'elle. » Le métabolisme de la blonde lui a toujours plus ou moins permis de ne pas  - ou peu - souffrir les lendemains de soirées arrosées mais elle demeure persuadée que c'est entièrement dû à sa volonté de fer. C'est qu'elle n'a peut-être pas tout à fait tort, seul une détermination virulente et un ego surdimensionné peuvent explique que Dasha ne soit pas mise dans des situations plus douloureuses et embarrassantes du fait de l'alcool. C'est les gênes russes sûrement.

Elle attrape les verres qu'Andrea a ramené, sert deux doses généreuses et lève son verre pour porter un toast, comme il se doit. On ne boit pas pour rien, c'est ce qui fait de vous un alcoolique. « A notre future alchimie et à nous tout court ! » Elle ne perd pas de temps et avale le verre d'une traite et se ressert aussi tôt. « Bon, on se connaît pas tellement en fait. Alors dis-moi tout, tu viens d'où, t'as fais quoi avant, comment tu t'es retrouvé à vivre avec Anna, d'où tu connais Chris, quel est ton rôle idéal, est-ce que t'es célibataire et si non, est-ce que t'aimes bien les blonds et les fleuristes? » Dasha n'est pas du genre à perdre du temps donc.

Andrea n'est pas sûr que le plan coca-burger lui sauve réellement la vie. Il faut dire qu'il est quand même censé se tenir éloigné de l'alcool, notamment en raison du traitement qu'il est contraint de suivre s'il ne veut pas devenir fou, et que toute entorse à la règle lui coûte cher, à chaque fois. La preuve en est, la dernière fois qu'il a abusé, il a couché avec Christopher et il a mis des jours à s'en remettre - de l'alcool, pas de sa nuit avec Christopher. Ca, il ne s'en est toujours pas remis. En réalité, Andrea sait de source sûre qu'il regrettera amèrement cet abus d'alcool dès le lendemain, et ne peut s'empêcher de songer qu'il devrait rester raisonnable. Pour autant, après la dose de stress qu'il vient de vivre, et vu son état actuel, une petite voix, dans un coin sombre de son esprit, l'encourage à se laisser un peu aller. Il faut dire qu'il n'est pas souvent libre de ses mots ou de ses pensées, le brun. Tout est toujours sous contrôle - mais là, ce soit, en face de la blonde qui lui a donné la réplique et qui fait un pas vers lui, il ne peut s'empêcher de céder. Il la laisse servir les verres et prendre place, sans rien dire, discret comme à son habitude, avant de s'emparer du sien.

« Je suis né ici, à New York », il marmonne, en buvant une gorgée. Il avait oublié, avant d'accepter la proposition de Dasha, à quel point il déteste parler de lui - et de son enfance, en fait. De ses parents qu'il a abandonné parce qu'ils étaient insupportables, trop exigeants, trop prenants. Trop tout. « Je suis fils unique de mes parents. Mon enfance n'a pas eu grand intérêt, enfin, il s'est rien passé de particulier. J'ai fait des études de droit, que j'ai abandonnées le jour où j'ai été pris pour jouer Pontmercy dans les Misérables. C'est là que j'ai rencontré Anna, et je crois qu'on a eu le coup de foudre, un peu. Amical, hein ? », il précise, sans aborder l'histoire dramatico-dramatique de ses parents qui ne lui parlent plus. « j'avais besoin d'un endroit pour vivre, l'idée de la coloc s'est imposée sans qu'on y réfléchisse vraiment, je crois. Ensuite, j'ai rencontré Christopher parce qu'on a souvent été en compétition pour les mêmes rôles, ou sur les mêmes plateaux. Et puis, il connait Anna », il ajoute dans un haussement d'épaule qui se veut indifférent - ou en tout cas, qui dissimule l'égo blessé. « Je suis célibataire, j'ai rien contre les fleuristes, et les blonds... Rien non plus ? ». Il sourit un peu, plus encourageant, et avale une nouvelle gorgée de son verre. « Et toi, alors ? T'es née ici ? C'était quoi, ton plus beau rôle ? J'imagine que tu as toute une foule d'admirateurs ? » Il grimace, la question sort plus acerbe qu'il ne l'aurait voulu. « Enfin, je sais pas, j'imagine », il lance, de manière un peu plus douce, histoire de rattraper le coup. « Comment tu connais Anna, toi ? Et Chris... topher ? »

Dasha écoute, plus qu'elle n'écoute habituellement les gens. Elle fait un effort en somme, tout en avalant régulièrement quelques gorgées de tequila. Pour garder le rythme. Elle prend note des détails qui l'intéressent - évidemment qu'il est fils unique, elle ne sait pas pourquoi, mais cela lui semble être parfaitement logique - hoche la tête au bon endroit. Coup de foudre amical, c'est une jolie expression. Et ça leur va bien. Un poil dramatique mais resplendissant.

Elle essaie de l'imaginer, jeune étudiant, quittant tout pour le rôle de Marius. Autant, la blonde visualise la partie futur avocat propret, autant elle ne voit pas sa fibre rebelle. Mais elle est ravie de savoir qu'elle existe. Et le rôle devait lui aller comme un gant, avec sa jolie voix et sa bouille d'ange.

Mais surtout, il apprécie les blonds et a failli appeler son grand rival Chris. Et ça, c'est le genre d'informations qui intéressent la commère qui sommeille - peu profondément - en Dasha. Après la petite sauterie - c'est le cas de le dire - d'anniversaires groupés il y a quelques temps, la comédienne a émis des doutes sur la nature de la relation entre Forbes et sa doublure. Elle n'a que de vagues souvenirs alcoolisés et un instinct, forgé par des années passées sur les planches de Broadway et les plateaux hollywoodiens, où ce genre de petites affaires est monnaie courante. La demoiselle n'a d'ailleurs jamais été la dernière à être au coeur des rumeurs, ni à les propager. Mais elle a appris, à force, que c'est toujours mieux d'avoir des preuves.

Elle lui laisse retourner ses questions, non sans rebondir sur ses préférences avant. « Il se trouve que je connais un très charmant fleuriste blond, qui t'as peut-être aperçu en venant me rendre visite en coulisses et il se pourrait qu'il ai un petit crush. Si jamais, je pourrais éventuellement écrire son numéro sur une feuille volante, que tu peux perdre ou non. » Clin d'oeil un peu lourd et encore un peu de tequila. Dasha se lance alors dans son propre monologue d'introduction, omettant quelques détails et en édulcorant d'autres.

« J'ai grandi à New-York aussi, je suis un pur produit Broadway, j'ai commencé par jouer Matilda. Et c'est peut-être bien mon meilleur rôle, pour être honnête. Je ratais l'école pour chanter et j'avais trois super copines avec qui je partageais le rôle, c'était l'éclate. » Elle sourit, un rien nostalgique de ces jours glorieux. Même si la gloire, la vraie, est venue plus tard. « Pour ce qui est des admirateurs, j'en ai moins qu'à une époque. J'ai bien failli finir has been avant de jouer Sandy. Je l'ai sûrement été d'ailleurs. » La blonde rit un peu, hésite à aborder le sujet puis se lance finalement. Elle est intriguée de voir si Andrea ignore réellement qui elle est - ce n'est pas exclu, South Cal était destiné à une démographie très spécifique - ou s'il se montre simplement poli. « Je ne sais pas si tu regardais beaucoup la télé vers 2002, mais j'ai joué dans une série assez populaire auprès des ados. South Cal? J'étais l'ado belle et torturée du groupe, j'ai pu explorer toute ma fibre dramatique et je recevais des courriers enflammés. C'était moins pire que quand j'avais fait Little Spies ceci dit, avoir des lettres qui te demandent ce que tu portes sous tes robes de tapis rouge à 13 ans, c'est très déstabilisant. » Too Much Information sûrement. Mais il ne faut jamais lancer Dasha sur son favori préféré : sa petite personne. « Par contre, après ça, ça a été compliqué et disons que le retour aux sources m'a un peu sauvé la vie. » Inutile de trop s'éterniser, elle lui en a déjà dit beaucoup plus qu'il ne le souhaitait initialement, sans doute.

« Et en fait, moi c'est un peu l'inverse. Je connais Chris depuis des années, on était amis quand on était petits et c'est de là que j'ai rencontré Anna. » La blonde sourit, esquivant plus ou moins subtilement les détails de sa relation avec Holtz. Pas qu'elles ne s'aiment pas, mais ça peut vite exploser et elle n'a pas envie de se mettre le BFF à dos pour rien. Ce serait contre-productif. « Bref, désolée, je parle BEAUCOUP trop. C'est un de mes défauts principaux. Ca et je suis un peu bordélique, je donne toujours mon avis et je suis aussi discrète que... Et bien une actrice de Broadway, hein. » Elle ricane, les effets de la tequila lui montant doucement au cerveau. D'ailleurs, Dasha se resservirait bien et ne s'en prive pas. Elle tend la bouteille à son collègue, histoire qu'il ne soit pas en reste. « Allez, suis, sinon je vais prendre trop d'avance. Tu fais pas souvent la fête toi hein? T'aime pas trop sociabiliser Andrea j'ai l'impression. C'est quoi le délire, t'es un loup solitaire, t'as peur des gens? T'as un amant secret pour qui tu dois rester en forme et aller te coucher tôt? » Elle aurait peut-être dû rajouter chiante à sa liste de défauts, très peu exhaustive.

Andrea fronce légèrement les sourcils à la réponse de Dasha. Il n'a jamais dit à personne qu'il était attiré par les hommes - sans doute parce que lui-même ne le savait que très vaguement avant de coucher avec Chris, justement. et depuis cette date, il a été tellement occupé à tenter de faire le vide dans sa tête et à comprendre ce qu'l ressentait lui-même - ou à se cacher, parfois, aussi - qu'il n'a pas vraiment songé à regarder d'autres hommes. La phrase de Dasha l'interpelle, non pas parce qu'il se trouverait dans une espèce de déni quelconque, mais plutôt parce qu'il n'a jamais été officiellement question qu'il fasse son coming-out. « Euh... J'imagine, oui... », il répond, non sans rougir un peu sans doute, à en croire le feu qui lui habite soudainement les joues. Son esprit est un peu trop obsédé par la nuit passée avec Chris pour le moment. Pour envisager voir d'autres hommes.

Il écoute, un peu soulagé que le sujet ne change, l'histoire de Dasha, hochant la tête avec attention. Et se surprend à apprécier l'étendue de son parcours - même si, non, il ne regardait pas tellement la télé en 2002, surtout pas les séries dramatiques pour adolescents. Résultat d'une éducation stricte et idiote, chez les Kennedy, il fallait se cultiver ou s'abstenir, ce qui laissait peu de place aux divertissements que son père considérait volontiers comme idiots, ou une perte de temps. Pour sûr, il n'a pas eu une éducation comme les autres. Ses parents à lui rentraient plutôt dans la définition des parents pénibles, attachés à des valeurs de principe un peu obsolètes et qui n'ont pas apporté grand chose à l'adolescence d'Andrea. Il le réalise pleinement, maintenant qu'il n'a plus à les supporter. Et pour une fois, plutôt que de garder ces informations pour lui, ou pour une partie très réduite de son entourage, alors que Dasha remplit son verre, il décide de s'en ouvrir.

« C'est quand même un beau parcours », il lance, dans un hochement de tête convaincu - ce qui n'est pas rien, venant de lui. « Désolé, je ne connais pas South Cal, mes parents étaient du genre il vaut mieux lire un bouquin historique ou regarder un documentaire que perdre du temps devant une série télé. Ils n'ont jamais été très, de ce côté là, il a fallu que je parte de chez eux pour découvrir Netflix et les après-midis passés à ne rien faire... » Et encore, c'est parce qu'Anna lui a inculqué progressivement ces habitudes. Parce que même parti de chez lui, au début, Andrea était quand même sacrément imprégné de l'éducation reçue. « Mais j'imagine sans mal que ça n'a pas dû être facile, cette dose de célébrité à un jeune âge. Oh, et je me rappelle quand même avoir assisté à une représentation de Matilda, je ne sais juste plus quand », il précise, en lui offrant un sourire.

Elle raconte comment elle connait Chris, puis Anna, et lui se contente d'acquiescer en tâchant de ne pas laisser ses expressions faciales parler pour lui, comme c'est si souvent le cas. Et puis forcément, de banalités, on en vient à parler des choses sérieuses, toutes ces questions qui mettent le brun mal à l'aise et qui le poussent volontiers à remplir son verre quand elle l'y invite en tendant la bouteille. « Non, je ne fais pas souvent la fête, c'est vrai », il confirme en haussant une épaule. « Disons que je ne dois pas trop consommer d'alcool, que je suis du genre réservé, et que forcément, quand je me retrouve sobre au milieu d'une foule de gens à l'aise et alcoolisés, je ne me sens pas au top de mon élément. Je préfète les comités restreints, et les gens qui me connaissent déjà. Tu as sans doute dû t'en rendre compte, je ne suis pas le type le plus expansif que l'on puisse trouver à Broadway. C'est lié à... je sais pas. Une histoire familiale, des problèmes de santé, une peur de faire confiance, peut-être. Ca tourne un peu trop là-haut, j'imagine. » Il termine son verre d'un trait, pour faire passer cette confession en demi-teinte à laquelle lui même ne s'attendait pas. « Je n'ai pas d'amant secret, mais, Dasha... », il s'interrompt pour se resservir et se donner un peu de courage, puis plante ses yeux dans ceux de la blonde, pour poser la question qui lui triture le cerveau. « Comment tu sais que je suis gay ? ». Boum. C'est sorti. Et il va le regretter, sans doute - parce que cette question est une confirmation de ce que lui-même n'avait pas encore réellement réalisé. Et parce que ce n'est quand même sans doute pas écrit sur son front.

Beau prince, Andrea admet qu'elle a tout de même bien roulé sa bosse, même s'il n'a pas la moindre idée de quoi elle parle. Dasha ne s'en offusque pas plus que ça, d'après ce qu'il dépeint, le pauvre garçon est le produit d'une éducation digne des mormons. Mais elle n'en perd pas pour autant le nord et réplique donc tout sourire « Et bien si tu veux me financer via royalties, Netflix aura la série le mois prochain. Sinon, je fais des viewing parties tous les ans, parce que j'aime torturer mes amis. Et que, spoiler alert, ma mort tragique vaut le détour. » Elle rit un peu et avale une goutte de tequila, préférant éluder l'empathie de son collègue quant à sa célébrité juvénile. Autant, elle a adoré tourné South Cal, autant le tumulte médiatique qu'a suscité son premier succès et sa seule réussite au cinéma, elle préfère ne pas y penser. C'est une année de sa vie qui a plus ou moins disparu de sa mémoire d'ailleurs.

La blonde adore certes être le centre de l'attention, a bien ri pendant les interviews avec ses co-stars de la série, mais ce film a ruiné son adolescence, sans vouloir être mélodramatique. Faire une tournée mondiale avec une mère envahissante, un styliste, deux attachées de presse, des interprètes, un assistant et trois producteurs, ça peut bouleverser l'existence de n'importe qui. Mais quand on est une enfant de 13 ans à qui on a monté la tête toute son enfance, c'est particulièrement problématique. Alors Dasha sourit, hoche la tête, effleure le bras du brun en remerciement mais ne creuse pas plus. Si elle a refusé d'en parler à son psy, même la tequila ne saurait lui faire cracher le morceau.

Pour une fois, elle en profite donc pour écouter. Et elle ne s'attendait pas tellement à ça, mais la comédienne est ravie de voir Andrea s'ouvrir un peu. A mots couverts, à mots un rien inquiétants même mais il s'ouvre tout de même et c'est un progrès. Sa curiosité naturelle l'emportant sur toute tentative de courtoisie et de bienséance, elle s'apprête à le questionner un peu sur ses "problèmes de santé," mais il la prend de court avec une question venue de nulle part. Un verre un peu trop vide à la main, Dasha incline la tête sur le côté, ses boucles blondes déferlant sur ses épaules et lui donnant un air de labrador confus. « Bah, j'en sais rien? T'as plu à mon pote et je me suis que ce serait bête de pas te le dire, c'est tout. Et tu m'as pas dit que t'étais pas intéressé donc... Ben, voilà. » Elle hausse les épaules, se ressert et ajoute « Puis, pas pour faire dans le cliché mais bon... Je suis bi et j'ai rencontré essentiellement des personnes queer dans le milieu. Alors, moi, je ne présume plus l'hétérosexualité de qui que ce soit. »

La blonde s'envoie un nouveau verre et se ressert promptement, commençant à perdre le compte et à sentir ses muscles, encore vibrant d'adrénaline, se décontracter. « Bon du coup, si je finis torchée, tu me mettras dans un Uber, puisque tu ne peux pas trop boire toi. Mais dis, c'est pas trop grave? Ta maladie, t'as dit que t'avais des soucis? » Indiscrétion la plus totale, mais il y a une certaine sollicitude dans ses questions. Après tout, il serait bon qu'elle sache, s'il faut lui piquer la cuisse en urgence ou ne surtout pas lui donner du paracétamol. C'est le genre de détails importants, au travail comme en amitié.